IPSA AFRIQUE

ECOWAS exit : les enjeux sécuritaires du retrait des Etats de l’alliance du sahel de la CEDEAO.

ECOWAS flag with member flags at the second extraordinary summit on the political situation in Burkina Faso, in Accra, Ghana, on February 3, 2022.A military coup d'état was launched in Burkina Faso, deposing President Roch Marc Christian KABORE. - The leaders of the Economic Community of West African States (ECOWAS) met Thursday in Accra, in the absence of three countries from this region hit by jihadists - Mali, Guinea, Burkina Faso -, suspended since that they are led by putschist soldiers. (Photo by Nipah Dennis / AFP)

Par OUSMANE BALDE, Docteur en droit public, Chargé de recherche à l’Initiative pour la paix et la sécurité en Afrique (IPSA)

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest fait actuellement face à des mutations systémiques. Elle subit une certaines recomposition géopolitique. Dans ce monde en recomposition[1], l’ancienne puissance colonisatrice n’est plus maitresse du jeu. Dans la politique des pays africains ; arrivent de nouveaux partenaires[2]. De la multiplication de partenaires, s’aligne la diversité des acteurs sur la scène ouest africaine.

Ce changement de paradigme entraine une certaine instabilité. Cet instabilité se caractérise par la récurrence des guerres asymétriques et la résurgence des coups d’état. Pour ces derniers, dans la sous-région, l’organisation ouest africaine prend des mesures comme la suspension de l’Etat des instances communautaires, le gel des avoirs, l’embargo sur certains produits…pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel au nom du respect des normes et principes communautaires comme les dispositions du Protocole  relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité qui a été signé le 10 décembre 1999 à Lomé. Ce protocole fait partie intégrante du traité de la CEDEAO et donc s’impose aux États membres. Il prévoit, dans ses objectifs, la constitution et le déploiement d’une force civile et militaire pour maintenir ou rétablir la paix dans la sous-région, chaque fois que nécessaire. C’est surtout l’option militaire qui était la principale caractéristique de la résolution de la crise nigérienne[3].

Ce « va-t’en guerrisme » de la CEDEAO a fini par outrer les autorités des Etats du Liptako gourma[4]. Après la création par ces pays de l’Alliance des Etats du Sahel en septembre 2023, à travers un communiqué, ils ont décidé de quitter la CEDEAO en reprochant à l’organisation ouest africaine plusieurs péchés: l’éloignement des idéaux des pères fondateurs et du panafricanisme[5], l’influence de puissances étrangères[6], la  menace pour ses États membres et non-assistance dans la lutte contre le terrorisme et l’insécurité[7] et l’imposition de sanctions jugées « illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres textes »[8]. Et la CEDEAO, en réponse à ce communiqué, propose à ces Etats une « solution négociée »  pour résoudre cet imbroglio. Pour parvenir à cette solution, lors du  sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO sur la situation politique, la paix et la sécurité dans la région, tenu à Abuja le 24 février 2024, les dirigeants ouest africains ont décidé de lever les sanctions contre les pays de l’AES.

Ce retrait de ces Etats auraient plusieurs conséquences. D’abord pour les populations, les habitants de ces trois pays perdront nécessairement le statut de citoyens communautaires. Ensuite, sur le plan géopolitique et économique, cette situation aura forcément des répercussions sur la Etats. Enfin, cette dénonciation des textes de la CEDEAO a des implications sur le plan sécuritaire. Donc cet Ecowas exit a des enjeux sécuritaires.

De par la position géographique des trois pays qui coupe la CEDEAO en deux partie, leur retrait aura des enjeux sécuritaires globaux (I). Ce retrait effectué conformément aux textes de l’organisation ouest africaine conduit à des enjeux pour ces Etats (II).

I)LES ENJEUX SÉCURITAIRES GLOBAUX

Les menaces sécuritaires transcendent les Etats, pris individuellement, en Afrique de l’Ouest. Elles représentent de véritables défis sécuritaires dans l’ensemble de la sous-région.  Déjà, la région ouste africaine est confrontée aux mutations systémiques, ce qui expliquerait à la multiplication des facteurs bélligènes. Cette situation susciterait des interprétations variées. Pour faire état de la globalité des enjeux sécuritaires dus au retrait des trois pays l’Alliance du sahel de la CEDEAO, il convient d’adopter trois approches.

La première postule l’émergence de ce que certains qualifient de « nouvelle barbarie »[9]. Cette approche se caractérise par l’irruption de la violence armée à l’échelle infra étatique qui résulterait d’un déchainement de haine « ethnique », « culturelle » ou « religieuse » qui échapperait à toute rationalité politique dont les causes et les conséquences transcenderaient les frontières de l’Etat.

La deuxième approche est quasiment le contraire de la première. Elle met l’accent sur la logique qui anime les criminels, dont l’action répondrait à un calcul rationnel. Cette approche porte une attention particulière à la « gouvernance des ressources naturelles » qui, dont la mal gouvernance aurait des incidences sur la gestion et la mobilisation des forces de défense et de sécurité face à la criminalité transnationale organisée.  Ce qui expliquerait les coups d’état dans certains pays comme au Mali et au Burkina Faso. Cette mal gouvernance, ayant des répercussion en dehors des frontières de l’Etat de sa commission, est devenu un enjeu sécuritaire majeur pour la CEDEAO.

Fondée sur les intérêts économiques, la troisième approche se concentre sur le fonctionnement de la CEDEAO. Les Chefs d’Etat et de Gouvernement ne fournissent pas les moyens nécessaires à la construction d’un espace communautaire où les citoyens sont épanouis ; ils forment une sorte de « syndicat » où prime le copinage. Le « néopatrimonialisme » instauré par les élites en places dans la gestion de leur pouvoir étatique est transféré dans les instances communautaires. Ce qui ne serait pas du gout d’une certaine frange de la population. Ce mode de gouvernance conduirait à une exacerbation des frustrations. A cet instant, certains leaders nationaux seront les voix du peuple[10].

Cette démarche exclusive pousserait aux militaires d’assumer leur responsabilité en prenant le pouvoir dans les trois Etats de l’Alliance du Sahel. Dans cette démarche, la CEDEAO a adopté un « deux poids deux mesures » qui lui a été fatal. Il existe un bloc de Chefs d’Etat et de gouvernement qui réprime les coups d’état perpétrés par les militaires[11] mais qui ferme les yeux sur les « coups d’État institutionnels » perpétrés par des gouvernements élus comme en Côte d’Ivoire et en Guinée en 2020[12].

Les menaces sécuritaires se nourrissent des impairs des gouvernants, ce qui fait le retrait aurait des conséquences négatives à la fois pour le bloc régional et les citoyens des trois pays ; il ouvrirait un boulevard d’insécurité qui impacterait les Etats.

II)LES ENJEUX SÉCURITAIRES ÉTATIQUES

À des degrés divers, les pays du Sahel sont fragiles et occupent généralement le bas des classements internationaux en termes de stabilité et de développement. Dans cette région aride, le changement climatique pose un ensemble de problèmes économiques et humanitaires particulièrement épineux. Ce qui fait que les populations qui vivent dans des zones éloignées et marginalisées comme le Triangle de Liptako-Gourma souffrent d’inégalités socio-économiques notoirement pénibles, qui procurent un sentiment d’insatisfaction omniprésent.

Confrontés à une « lutte existentielle contre le terrorisme et l’insécurité »[13], les Etats de l’Alliance du Sahel se sont retirés de l’Organisation sous régionale sans des consultations nationales[14] .

Dans la continuité d’une coopération accrue  des forces du Mali, du  Burkina Faso et du Niger pour combattre le djihadisme et d’une restauration de leur souveraineté, ces trois pays doivent démontrer leur faculté à gagner par eux-mêmes la guerre qui ensanglante le Sahel en créant l’AES et en quittant la CEDEAO. Certes le Mali reprend pied au Nord, mais jusqu’à présent son armée continue de subir des revers. C’est le cas de la dernière attaque d’envergure imputée à des jihadistes contre leur base située près de la localité de Mourdiah (ouest), à environ 300 kilomètres au nord de Bamako[15].

Ce retrait des trois pays diminuerait leur capacité militaire à défendre leur territoire. Ils n’auront pas la capacité de l’ECOMOG à enrailler la menace djihadiste et ne bénéficieront pas des projets de développement de la CEDEAO, si l’on sait que ces Etats font partie du club des pays les moins avancés.

Cette pauvreté expliquerait la raison de la création de l’Autorité de développement intègre de la région du LIPTAKO-GOURMA[16] Cette partie est depuis quelques années, en proie à l’insécurité du fait de la présence de groupes armés. La région correspond par ailleurs à la zone des trois frontières qui échappe toujours au contrôle des Etats centraux.

Ce quadrilatère[17] fait face à la prolifération des armes et de l’insécurité via une démultiplication des groupes armés non-étatiques et des mouvements fondamentalistes islamistes armés. Ces phénomènes apparaissent comme des dangers qu’il convient de traiter désormais comme une autre problématique commune. Les Etats de l’Alliance , dans leurs fondements, sont menacés par ces développements transfrontaliers de groupes et de commerce  d’armes.

L’Autorité pour le développement intégré du Liptako Gourman connait des limites que les trois Etats doivent surmonter. En effet, l’ALG ne s’est jamais inscrite formellement dans une vision verticale de son positionnement qui ferait d’elle un instrument intergouvernemental supplémentaire, dans un schéma comparable à ceux de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union Africaine[18]. Pour se relever de cet handicap, ce Etats doivent s’atteler à créer une Force Multinationale de Sécurisation du Liptako-Gourma (FMS/LG), inspirée de la Force Multinationale Mixte de la Commission du Bassin du Lac Tchad (FMM/CBLT)[19].

 

 

Note de Référence:

[1] L’expression est de Pascal BONIFACE, Les relations internationales de 1945 à nos jours, Paris, Eyrolles, 2017, p.169.

[2] C’est le cas de la Chine, de l’Inde, du Japon…

[3] La CEDEAO, en tant qu’organisation régionale interétatique, dûment constituée et avec un statut ratifié par l’ensemble des États membres a la légitimité de mener cette intervention. La base juridique principale reste le traité révisé de 1993 dont l’article 58, prévoit dans son alinéa F la possibilité de constitution d’une force régionale de maintien de la paix. Cette force, ECOMOG, a déjà été déployée en Sierra Leone en mars 1998 pour restaurer dans ses fonction le président Ahmad Tejan Kabbah qui avait été renversé par un coup d’État. Une telle menace a été brandi en 2016, pour faire partir le président Yahya Jammeh et installer le nouveau président Adama BARROW.

[4] Ces Etats que sont le Mali, le Niger et le Burkina Faso, ont déjà créé en 1971 l’Autorité de Développement intégré de la Région du Liptako gourma.

[5] Voir le paragraphe 2 du communiqué en date du 28 janvier 2024.

[6] Voir le paragraphe 3 dudit communiqué.

[7] Voir le paragraphe 4 du communiqué

[8] Voir le paragraphe 5 du communiqué

[9] Voir F. RAMEL, « Désintégration institutionnelle, désintégration sociale : quels facteurs belligènes », in B. BADIE et D. VIDAL, Nouvelles guerres L’état du monde 2015, Paris, éditions La Découverte, 2014, p.33.

[10] C’est le cas de l’imam Dicko au Mali.

[11] Dans un communiqué conjoint en date du 28 juin 2024, l’AES dénonçait les sanctions imposées par la CEDEAO.

[12] Voir https://issafrica.org/fr/iss-today/les-annonces-de-sortie-de-la-cedeao-placent-lafrique-de-louest-a-la-croisee-des-chemins

[13] Voir le communiqué conjoint en date du 28 juin 2024 de l’AES.

[14] Au Mali par exemple, la Coalition des organisation de l’Appel du 20 février 2023  “Sauver le Mali”, https://www.fratmat.info/article/236921/etranger/mali/cedeao-lannonce-du-retrait-du-mali-divise

[15] https://www.voaafrique.com/a/mali-plusieurs-soldats-tu%C3%A9s-dans-une-attaque-jihadiste-sources-locales-/7506738.html

[16] Cette autorité réunissant les trois pays (Mali, Niger et Burkina Faso) a été créée par la Convention portant Statuts de l’Autorité de Développement intégrée de la Région du Liptako-Gourma  du 3 juin 1971. Elle a été révisée à plusieurs reprises dont la révision de 2001.

[17] La zone du Liptako-Gourma correspond à un quadrilatère délimité approximativement par Tombouctou et Kidal (Mali), Niamey (Niger), et Ouagadougou (Burkina Faso).

[18] « Le rôle de l’Autorité de développement intégré de la région du Liptako-Gourma (ALG) dans la lutte contre l’insécurité entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso », Analyse sociétale africaine/African societal Analysis (ASA), le think tank de l’ASSN, avril 2018.

[19] C’est un projet qui a été lancé en janvier 2017 lors de la conférence des chefs d’Etat de l’ALG tenue à Niamey.

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