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Les tensions entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda : Quelles issues pour une sortie de crise ?

Par  TABOU Céline, Rédactrice Chez IPSA Initiative pour la Paix et la Sécurité en Afrique.

La relation entre Kinshasa et Kigali a toujours été conflictuelle, la situation s’est d’ailleurs exacerbée au cours du XXème siècle et s’est intensifiée avec la constitution de groupes armés rebelles, qui ont commis des exactions, très certainement avec le soutien des gouvernements rwandais pour le Mouvement du 23 mars (M23), et congolais pour les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

Après plusieurs accords de cessez-le-feu, des tensions sont survenues en mai 2022, conduisant à plusieurs attaques présumées des forces congolaises et rwandaises sur le territoire de l’autre. Ces violences ont poussé des milliers de personnes à fuir la région, dont des milliers vers l’Ouganda voisin, selon l’agence humanitaire des Nations Unies OCHA.

A la lecture d’articles scientifiques et de presse, de rapports d’institutions et à l’écoute d’interview et de documentaires sur le sujet, on peut se demander comment est né ce conflit d’une extrême violence, quels canaux diplomatiques ont été utilisés pour tenter d’apaiser les tensions entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda, au cours de ces dernières décennies, et notamment aujourd’hui quelles sont les solutions pour sortir de la crise?

Avant la colonisation, la région des Grands Lacs était gérée par des royautés, et le territoire était réparti selon l’ordre d’arrivée d’un peuple sur les lieux et sa capacité à conquérir de nouveaux territoires. Par la suite, la délimitation des frontières a modifié la configuration de la région, car elle a été créée à partir des limites naturelles. Dès lors, des tensions ont émergé sur des bases d’ethnicité avec d’un côté les peuples majoritaires, les Hutus, et de l’autre les Tutsis, minoritaires. La haine entre ces deux peuples s’est déchaînée entre 1959 et 1961, puis lors du génocide des Tutsi au Rwanda, en 1992.

« Ces conflits du passé ont donné lieu à des préjugés qui circulent encore aujourd’hui entre communautés locales, prêtant à tel ou tel autre camp des intentions d’envahir l’espace et les richesses de l’autre », ont expliqué les auteurs du rapport 2013 de l’ONG internationale Interpeace sur la manipulation des identités dans la région des Grands Lacs.

Entre manipulation politique, conflit ethnique, et consolidation du pouvoir des groupes armés, les tensions entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda peinent à se résorber, tant les haines persistent et les intérêts économiques sont importants.

Pourtant, de nombreux experts attestent que la situation peut s’atténuer entre les deux pays. Kinshasa et Kigali ont la possibilité d’instaurer la paix et la sécurité pour leurs peuples, dès lors où ils instaureront une coopération culturelle, ethnique, économique, commercial et social. Pour cela, les deux gouvernements doivent revenir à la table des discussions afin d’apaiser durablement les tensions.

1.     Un conflit complexe qui n’a jamais cesse

 

Dans les années 1930, le Rwanda a envoyé une partie de sa population en terres congolaises, prémisse des tensions entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo. Selon les estimations présentées par Pierre Jacquemot, « pendant la période coloniale, de nombreux paysans rwandais furent installés sur les collines de Masisi, aménagées pour la circonstance : 25 000 ont été déplacés entre 1933 et 1945, 60 000 entre 1949 et 1955. Aussi l’administration coloniale estimait-elle déjà en 1955 à 170 000 le nombre de Rwandais installes au Congo ».

Cette situation a conduit à l’enracinement d’une minorité d’origine rwandophone sur les terres de Kivu[1], en République Démocratique du Congo. Ces « congolais rwandophones » étaient déjà présents lors de l’instauration des frontières coloniales, les plaçant du côté de l’Etat Indépendant du Congo en 1885.

Ces populations ont acquis la nationalité congolaise lors de l’indépendance du Congo en 1960. Par la suite, en 1972, le président Mobutu Sese Seko signe un décret de naturalisation collective de tous les Rwandais vivant au Zaïre, mais cette mesure sera abrogée en 1981, car contestée par les populations locales. De plus, cette présence a notamment donné prétexte aux autorités rwandaises pour des incursions dites sécuritaires.

Apres l’indépendance du Congo, les crises politiques au Rwanda et au Burundi ont poussé des milliers de personnes à se réfugier en RDC, créant des tensions déjà vives car les espaces cultivables se sont raréfiés et les conflits politiques tournaient principalement autour d’une question d’ethnicité. « Jusqu’en 1973, le flux est d’une vingtaine de milliers par an, grossissant les rangs des Rwandophones sédentarisés », a indiqué Pierre Jacquemot.

Le génocide des Tutsi au Rwanda

Les tensions liées à la discrimination et à l’exclusion des groupes ethniques au Rwanda ont créé les conditions du génocide rwandais. En effet, en RDC cohabitent les autochtones (Hunde, Nande, Nyanga) d’un côté, et les allochtones (Hutu et Tutsi) de l’autre, selon Pierre Jacquemot.

La « congolité » ou l’identité congolaise des « communautés rwandophones » est souvent remise en question par d’autres communautés, selon Gaius Kowene. Ainsi, le débat sur la nationalité remonte à la gouvernance de 1965 à 1997 du Maréchal Mobutu Sese Seko (1930-1997), quand certains leaders tutsis basés au Kivu voulaient créer la « République des Volcans » en fusionnant avec l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi.

A ce contexte déjà difficile, l’attentat du 6 avril 1994 ayant conduit à l’assassinat de Juvénal Habyarimana, président du Rwanda, et de Cyprien Ntaryamira, président du Burundi, est souvent qualifié de « déclencheur du génocide ».

Cet attentat précède un déchaînement de violences constaté à partir de la nuit du 6 avril 1994 au Rwanda jusqu’au 17 juillet 1994. Le génocide a également entraîné durant quatre jours, en juillet 1994, la fuite d’1,5 million d’Hutus rwandais convergeant vers la ville frontalière de Goma, en République Démocratique du Congo.

Cet afflux de population a conduit à une catastrophe humaine dans les provinces de l’Est. Ce « sera le signal du transfert de l’ancestral conflit ethnique rwandais au Congo » pour Pierre Jacquemot. D’autant plus qu’à Kigali, les autorités considèrent que les camps de refugiés mis en place pour accueillir les populations sont sous la coupe des milices hutues Interahamwe (rwandaises), créées en 1992 par le Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND), parti du président rwandais Juvenal Habyarimana. Ces milices sont aussi composées de membres hutus de l’ancienne armée rwandaise, qui étaient d’anciens génocidaires.

Assurant que les milices préparaient une invasion, la nouvelle armée rwandaise de Paul Kagame, président de la République du Rwanda depuis le 24 mars 2000, décide de défendre l’intégrité territoriale du pays en occupant la partie orientale du Zaïre[2].

Cette raison militaire masque la volonté des autorités rwandaises de s’accaparer les richesses de la RDC. Une accusation attestée par certains rapports de l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui attestent que Kigali profite du chaos ambiant pour faire main basse sur une partie des ressources, telles que le cuivre, le cobalt, le zinc, le coltan, la cassitérite, l’or, la bauxite, les diamants, le pétrole, le gaz, etc.

Les tensions ont eu des conséquences économiques et humaines considérables pour la République Démocratique du Congo, où il est estimé à 5,4 millions de morts lors de la Deuxième guerre du Congo[3] (1998 à 2002), avec une fin formelle le 30 juin 2003. En effet, il faudra attendre l’Accord global et inclusif de Pretoria, signé le 16 décembre 2002 à Pretoria, en Afrique du Sud, entre le Rwanda et la RDC, pour mettre un terme à la Deuxième guerre du Congo.

Cet accord a été précédé par l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka. Par la suite, la République Démocratique du Congo lance la constitution de la transition en 2003 et instaure le 30 juin 2003 un gouvernement de transition.

Toutefois, le contrôle des ressources congolaises a été, pour le Rwanda, une manière de continuer la guerre sous une autre forme, à travers ce que Pierre Jacquemot appelle le « modèle de la convoitise » (greed model). Selon le chercheur à l’IRIS et ancien Ambassadeur de France (Kenya, Ghana, RD Congo), ce modèle se base sur l’exportation de minerais qui accroit, dans un territoire donné, le risque de guerre de quatre manières : le financement des rebelles et des armées; l’aggravation de la corruption de l’administration; les incitations à la sécession ou a la balkanisation; et la vulnérabilité de la population aux chocs extérieurs.

Outre la question des richesses, des enjeux démographiques liés à l’occupation de l’espace dans les Grands Lacs (Rwanda, Burundi, République Démocratique du Congo) suscitent des tensions ethniques, exacerbées par des décennies de haines accumulées. Dans ce contexte, l’exploitation des ressources minières est un facteur aggravant, accentuant la violence qui règne dans la région, amplifiée par un contexte économique et social tendu.

Les groupes rebelles au cœur des tensions

Les divergences entre la RDC et le Rwanda persistent en dépit des accords de paix et de stabilité dans la région. Celles-ci restent fortes même si en octobre 2003, le dernier soldat rwandais s’est officiellement retiré du Congo. En effet, la présence rwandaise dans l’Est de la RDC n’a jamais cessé, car elle a été appuyée par l’action de groupes armés très violents. Parmi lesquels, le Congres National pour la Défense du Peuple (CNDP) du rebelle tutsi, Laurent Nkunda, qui  change de nom après son arrestation en 2009, et devient le Mouvement du 23 mars (M23). Les objectifs sont les mêmes, tout comme les combattants. Ces derniers font partie des contingent n’ayant pu participer à la démobilisation et la réintégration dans l’armée congolaise.

Les membres du M23 veulent l’éradication des derniers génocidaires hutus des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), cachés dans les collines du Kivu, selon Pierre Jacquemot. Ce groupe rebelle est d’ailleurs essentiellement composé d’anciens soldats de l’armée congolaise qui se sont rebellés contre leur gouvernement qui, selon eux, marginalise leur minorité ethnique Tutsi. Pour Pierre Boisselet, chercheur au groupe d’études sur le Congo, « la plupart viennent de communautés rwandophones congolaises du nord », arrivées au XXème siècle en RDC. Ce dernier a expliqué lors d’une émission du Journal Afrique du 4 avril 2022 sur TV5Monde, que les rebelles du M23 « voudraient reprendre les terres qu’ils estiment leur appartenir. »

Ils parviendront d’ailleurs à prendre la capitale provinciale de Goma en novembre 2012. Puis, ils entrent en conflit avec l’armée congolaise tout en recevant le soutien du Rwanda. Le cessez-le-feu est évoqué entre la RDC et le groupe M23 mais peine à se mettre en place. Un rapport confidentiel de l’ONU accuse en outre le Rwanda et l’Ouganda de continuer à armer les rebelles du M23 dans l’est de la RDC.

« Non seulement le Rwanda permet au M23 de se procurer des recrues et de l’équipement sur son territoire, mais les militaires rwandais continuent d’apporter un soutien direct à ce groupe qui commet des exactions. Ce soutien renforce un groupe armé qui est responsable de nombreux meurtres, viols et autres crimes graves », a assuré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch.

Depuis plusieurs années, la RDC accuse le Rwanda de soutenir le M23, qui servirait les intérêts de la présidence rwandaise afin de déstabiliser la région pour profiter des ressources naturelles congolaises. Chassés de la RDC en 2013, après la signature des accords de paix, les rebelles du M23 sont sortis de leurs bastions pour attaquer des positions de l’armée congolaise, notamment à Runyoni et Tchanzu, les 28 et 29 mars 2022.

Cette région est de nouveau le théâtre de vives tensions car huit soldats des Nations Unies sont morts dans le crash inexpliqué de leur hélicoptère le 29 mars 2022. Dans le même temps, environ 72 000 personnes se sont enfuies de leurs villages en huit jours, pour trouver refuge dans les localités voisines ou en Ouganda. Des milliers d’autres personnes se sont mises à l’abri dès mars dans la région, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), en raison des combats entre les rebelles du M23 et les Forces armées de République démocratique du Congo (FARDC).

2.   Regain de tension en 2022 : comment sortir de la crise ?

 

Des tensions sont apparues au cours de cette année 2022 entre la RDC et le Rwanda à la suite de plusieurs attaques présumées des forces congolaises et rwandaises sur le territoire de l’un et de l’autre. Un rapport d’experts missionnés par les Nations Unies, transmis au Conseil de sécurité, affirme que l’armée rwandaise a lancé des attaques directement et en soutien à des groupes armés depuis novembre 2021.

Crise liée à la récente offensive des membres du M23 à la fin du mois de mars.

En effet, Kinshasa a annoncé avoir arrêté deux soldats rwandais, lors d’une interpellation durant une incursion du M23 dans l’Est du pays. Une situation qui n’est pas nouvelle mais elle entrave les accords de paix signés entre les deux pays, qui ne sont pas pris en compte par le groupe rebelle.

Selon le lieutenant-général de brigade Sylvain Ekenge, porte-parole adjoint des FARDC et porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu, « au cours de ces attaques, les FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo, armée congolaise) ont mis la main sur deux militaires rwandais ». Preuve de la présence rwandaise en RDC, en dépit des dénégations de Kigali.

Début juin, le président angolais Joao Lourenço, médiateur entre les deux pays, a annoncé un nouvel accord de cessez-le-feu entre les deux pays, à l’issue d’un sommet organisé à Luanda, le 6 juillet. Kinshasa et Kigali évoquent eux l’adoption d’une « feuille de route » qui « stipule une volonté de normalisation des relations diplomatiques entre Kinshasa et Kigali » et prévoit la « cessation immédiate des hostilités », ainsi que le « retrait immédiat et sans condition du M23 de ses positions » en République démocratique du Congo.

Or quelques jours après ce sommet, l’armée congolaise a accusé le Rwanda d’avoir bombardé une école sur son territoire tuant deux enfants, ce qu’elle a qualifié de « crime de guerre » et de « crime contre l’humanité ». De son côté, le Rwanda a également accusé l’armée congolaise d’avoir tiré deux roquettes contre son territoire. Suite à ces passes d’armes, les Nations Unies ont appelé à un cessez-le-feu entre les deux pays. Malgré tout, des affrontements ont continué dans l’Est de la RDC entre l’armée et les rebelles du M23.

Les différents appels au cessez-le-feu n’ont pas abouti obligeant la population à fuir, car le porte-parole du M23, Willy Ngoma, a indiqué à l’Agence de presse Anadolu, que la feuille de route ne les concerne pas. Seul le M23 « peut signer le cessez-le-feu avec le gouvernement », raison pour laquelle le groupe s’est dit « pas concerné par la feuille de route de Luanda ».

D’ailleurs, Willy Ngoma exige que Kinshasa négocie « directement avec le mouvement » qui contrôle toujours la cité de Bunagana et d’autres localités. Pendant ce temps, environ 30 000 civils ont dû fuir vers l’Ouganda. Les violents combats entre les rebelles et l’armée congolaise ont poussé aussi environ 137 soldats congolais et 37 policiers à fuir vers le voisin ougandais, où ils se sont rendus aux armées ougandaises.

Actuellement, la situation risque de s’envenimer un peu plus, car la RDC a décidé de rompre tous les accords et préaccords, et a réitéré son accusation contre le Rwanda. Kinshasa a assuré que Kigali soutient militairement et financièrement le M23. Patrick Muyaya, ministre congolais de la communication, a assuré que « les effets militaires retrouvés sur place, les images détenues par nos forces armées ainsi que les témoignages recueillis auprès de nos populations démontrent à suffisance que le M23 est soutenu par le Rwanda. Cette attitude récidiviste vise clairement à torpiller nos efforts de pacification engagés dans le cadre du processus de Nairobi ».

Une accusation partagée par des experts missionnés par les Nations Unies, qui ont expliqué dans leur rapport transmis au Conseil de sécurité de l’ONU que Kigali « a lancé des interventions militaires contre des groupes armés congolais et des positions des Forces armées congolaises depuis novembre 2021 ». Après des années d’incursions en terre congolaise, les experts de l’ONU attestent que les troupes rwandaises ont « fourni des renforts de troupes au M23 pour des opérations spécifiques, en particulier lorsque celles-ci visaient à s’emparer de villes et de zones stratégiques ».

Ces derniers se sont basés sur des images de drônes fournies par la Monusco, des vidéos et photos amateurs ainsi que des témoins oculaires, qui font état de la présence des forces armées rwandaises et/ou du transfert de leurs équipements au M23 dans cette ville de Bunagana, dans le Nord-Kivu, proche de la frontière ougandaise la veille et le jour de l’attaque, le 13 juin 2022. Les experts mandatés par l’ONU ont d’autre part révélé que « le M23 et l’armée rwandaise ont conjointement attaqué le camp des forces armées congolaises à Rumangabo ».

Outre les opérations du M23, les experts des Nations Unies attestent qu’à la fin du mois de mai et au début du mois de juin 2022, près de 300 militaires rwandais ont affronté des groupes armés à dominante Hutu sur le sol congolais.

En réaction à la publication de ce rapport d’experts de l’ONU, la porte-parole du gouvernement rwandais, Yolande Makolo, a assuré que « le Rwanda ne peut pas commenter un rapport non publié et non validé. Le Conseil de sécurité des Nations unies a reçu un rapport du groupe d’experts en juin 2022, qui ne contenait aucune de ces fausses allégations, et un rapport à mi-parcours est attendu en décembre ». Selon elle, « la présence du M23 et ses origines sont connues comme un problème de la RDC, qu’ils cherchent à faire peser sur les autres pays. Le fait que les rebelles qui sillonnent la région soient en conflit avec leur gouvernement ne relève pas de la responsabilité du Rwanda ».

Des moyens de sortie de la crise existent

La situation s’enlise entre les deux pays qui se rejettent la faute. Dans un tel contexte, de nombreuses voies se sont élevées pour instaurer la paix dans la région. Dans une interview accordée à « Sous l’arbre à palabre »[4], par le juriste et analyste politique rwandais, Rutikanga Tite Gatabazi, ce dernier a expliqué qu’il existe des mécanismes officiels permettant la désescalade des tensions.

Ce dernier a évoqué le mécanisme de vérification conjointe, l’adhésion de la RDC au sein de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC), l’accord de paix de Nairobi en juillet 2000, les mécanismes de paix et de sécurité de l’Union Africaine, « tout cela aurait dû être sollicité plutôt, au lieu d’aller s’épancher dans les médias et sur les réseaux sociaux ». Ce dernier a déploré l’absence de prise en compte des canaux diplomatiques pour résorber ce conflit, et arriver à un consensus de paix durable.

En effet, lancé en octobre 2004 par les gouvernements de la RDC et du Rwanda, le mécanisme conjoint de vérification (MCV) de leur frontière commune « un organe technique composé d’experts des deux gouvernements, de l’ONU et de l’Union Africaine et chargé de traiter des questions de sécurité aux frontières entre la RDC et la Rwanda », avait expliqué le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan . Ce dernier avait dit avoir l’espoir que ce mécanisme constitue « un outil efficace de restauration de la confiance ».

Malgré les bonnes volontés, les tensions persistent et s’intensifient par moment. A tel point, qu’en septembre 2013, la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo) intègre le MCV. Mais la mission onusienne n’a pas eu de résultats significatifs contre les groupes armés. D’ailleurs, la mission est poussée vers la sortie, après avoir été contesté par le Président de la RDC, Joseph Kabila, et désormais par l’administration Tshisekedi, 23 ans après son arrivée au Congo. Cependant, en août 2021, la Monusco et le gouvernement congolais ont validé un « Plan de transition conjoint », qui programme le retrait de la Monusco de manière « échelonnée, responsable et durable » d’ici 2024. Il était donc prévu le départ de la Monusco, dès lors où un gouvernement a été mis en place.

Par la suite, les autorités congolaises et rwandaises s’accordent sur la mise en place du Mécanisme conjoint de vérification élargi, organe de la Conférence internationale pour la Sécurisation de la région des Grands-Lacs (CIRGL), chargé du monitoring de la situation sécuritaire et humanitaire dans les pays de la région des Grands lacs. Ce dispositif basé à Goma avait été lancé en septembre 2012 et a pour mission de mener des enquêtes sur les incidents de sécurité dans la Région des Grands Lacs. Ce dispositif comprend des experts militaires des États Membres de la CIRGL, et assure l’instauration de la paix, de la stabilité et du développement harmonieux au sein des pays membres de la CIRGL.

La feuille de route signée à Luanda prévoit également la création d’un mécanisme de vérification ad-hoc afin de vérifier les accusations mutuelles entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo. Le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula Apala, a remis en cause le mécanisme conjoint de la CIRGL « qui fait de temps en temps la vérification lorsqu’il y a des accusations mutuelles, ce mécanisme n’est pas aussi efficace qu’on peut le croire, certains pays pour ne pas le citer souvent le Rwanda quand nous avons des accusations et que le comité conjoint fait le constat et établit le rapport c’est des discussions, de blocage. Nous avons dit que maintenant il faut élargir le mandat du mécanisme et surtout renforcer ses moyens d’actions pour lui permettre de faire un monitoring à priori c’est-à-dire une action préventive, une alerte de convoie des mouvements des troupes du Rwanda le long de nos frontières en ce moment là le mécanisme alerte parce-que jusque là le mécanisme agit à posteriori, il fait le contrôle après que le dégât ait été déjà commis ».

Outre les mécanismes, l’Union Africaine a la possibilité d’agir plus efficacement, via le Conseil de paix et de sécurité (CPS) qui lui permet de prévenir, de gérer et de régler les conflits. Ce système de sécurité collective et d’alerte rapide, visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflit et de crise en Afrique, devrait être déclenché et consolidé pour parvenir à la paix dans la région des Grands Lacs.

Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine pourrait également, à l’instar de tous les mécanismes instaurés pour résoudre ce conflit, vérifier les actes contestés de la RDC et du Rwanda, concernant respectivement le soutien au M23 du côté congolais et la collaboration avec les FDLR du côté Rwandais, a évoqué Christophe Lutundula. D’ailleurs, les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) sont un groupe rebelle composé des hauts gradés restants du génocide de 1994 contre les Tutsi qui, à différents moments, ont comploté des attaques éclair au Rwanda.

Conclusion

 

Globalement, des solutions existent pour résoudre le conflit entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda. L’important aujourd’hui est d’assurer que toutes les parties viennent à la table des discussions, et que chacun y mette du sien pour la paix, la sécurité et l’avenir des deux territoires.

D’autant plus que la situation actuelle pourrait s’envenimer, depuis que le président de la RDC, Félix Antoine Tshisekedi, a décidé de rompre tous les accords et pré-accords signés avec l’État rwandais, et  que Kigali a appelé à retirer ses troupes du territoire congolais.

Dans un tel contexte, les groupes armés ont le champ libre pour agir. C’est pourquoi le Secrétaire General de l’ONU, Antonio Guterres, a réitéré son appel pour que la RDC accepte de nouvelles négociations avec le groupe rebelle, M23, afin d’aboutir à un accord de paix et de sécurité de la zone.

Les mécanismes mis en place au cours de ces dernières décennies sont efficaces et doivent travailler de concert avec toutes les organisations et les mécanismes sous-régionaux existants afin d’abaisser les tensions. Il est recommandé aux autorités rwandaise, congolaise et aux experts internationaux de « mener toutes les opérations, conjointes ou unilatérales, dans le strict respect du droit international, notamment du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, selon qu’il conviendra », comme l’a indiqué le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il est aussi préconisé de traduire en juste les auteurs du M23 et des Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) ayant commis de graves exactions. Les populations ont le droit à la justice, et notamment de vivre en paix. Les groupes armés étrangers devraient déposer les armes et réintégrer leur pays d’origine.

Les deux territoires ont des richesses naturelles et humaines qui pourraient développer la région. Une coopération élargie (économique, environnementale, sociale et commerciale) entre le Rwanda et la RDC serait profitable à tous, tant aux économies des deux pays, qu’au bien-être des populations.

Bibliographie

 

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TOPONA E. (3 juin 2022), Tensions RDC-Rwanda : quelle solution?, L’Arbre à palabre, DW.Com, https://www.dw.com/fr/tensions-rdc-rwanda-quelle-solution/av-62006619

Union africaine, Le Conseil de paix et sécurité, https://au.int/fr/cps

[1] Le Kivu, ancienne province de l’Est de la RDC, est une province divisée depuis 1988 entre trois provinces, le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Maniema.

[2] Nom porté par l’actuelle République Démocratique du Congo entre 1971 et 1997

[3] La Première guerre du Congo (1996 à 1997) voit le président zaïrois Mobutu Sese Seko, chassé du pouvoir par les rebelles soutenus par des États étrangers, notamment le Rwanda, l’Angola et l’Ouganda. Le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila devient président et change le nom du pays en République démocratique du Congo. De nombreux massacres de populations ont lieu, posant les jalons de la Deuxième guerre du Congo.

[4] Magazine « Sous l’Arbre à palabre », magazine débat de la rédaction Afrique francophone de la DW https://www.dw.com/fr/arbre-palabre-debat/t-57365115

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