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La crise diplomatique entre la Côte d’Ivoire et le Mali: Décryptage de l’affaire des 46 militaires ivoiriens

Par Inès Ramozzi.

Depuis le 10 juillet dernier, une nouvelle affaire mêlant géopolitique et relations internationales défraie la chronique. En effet, 49 militaires ivoiriens ont été arrêtés à l’aéroport international Président Mobido Keïta, de Bamako-Sakou, pour tentative « d’attentat et complot contre le gouvernement » et « atteinte à la sûreté intérieure ». Cet événement suscite des interrogations puisque ces deux pays sont en état de paix et partagent plusieurs siècles d’histoires communes. Aussi étonnante soit-elle, cette bataille politique aura suscité l’intervention de nombreux voisins notamment Lomé, Accra, Bissau et même New-York.

Pour autant, la paix relative est à nuancer puisque de vives tensions existent entre les deux pays. En ce sens, Abidjan est accusé par Bamako d’avoir incité ses partenaires ouest-africains à durcir les sanctions contre les militaires maliens auteurs de deux coups d’Etat depuis 2020 [1]. De plus, la Côte d’Ivoire est souvent pointée du doigt et des interpellations dans des affaires similaires ont eu lieu par le passé notamment avec Biafra, Libreville et Ouaga. L’Etat assume souvent la responsabilité de missions sans toutefois reconnaître son implication [2].

Hors, les militaires arrêtés, qualifiés de “mercenaires” par les autorités maliennes, seront inculpés à 20 ans de prison mi-août et écroués. Après plus de 6 mois de rebondissement, 46 d’entre eux ont été graciés par les autorités maliennes [3] et ont été accueillis par le président Alassane Ouattara, les militaires, le 7 janvier à Abidjan. “Maintenant que cette crise est derrière nous, nous pourrons reprendre des relations normales avec le Mali”, a déclaré Alassane Ouattara lors de son discours, tout en insistant sur le bien-fondé de la mission des soldats ivoiriens, qualifiés de “héros” envoyés au Mali pour “apporter la paix » [4].

Dès lors, l’escalade progressive de cette affaire est-elle assimilable à une opération d’influence de la part du Mali?

 

I- Des récits en contradictions:

 

Depuis le début de cet événement, deux versions des faits diamétralement opposées s’affrontent. Arrêté le 10 juillet à son arrivée à Bamako, le groupe de militaires est accusé par les autorités maliennes d’être des “mercenaires” venus au Mali avec le “dessein funeste” de “briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation” du pays. Les autorités de transition leur reprochent notamment d’être arrivés “sans autorisation ni ordre de mission” et d’avoir donné des versions contradictoires quant à la raison de leur présence [5].

Pourtant de l’autre côté, Abidjan assure que ces soldats étaient en mission pour l’ONU, dans le cadre d’opérations de soutien logistique à la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), et n’avaient pas pour but de déstabiliser le pays [6]. Le Mali était donc bien au courant de leur présence du fait qu’ils faisaient partie des Eléments nationaux de soutien (NSE), procédure de l’ONU permettant aux contingents des missions de maintien de la paix de faire appel à des prestataires extérieurs pour des appuis logistiques [7].

Dès lors un bras de fer débute entre les deux nations avec comme médiateur le président togolais Faure Gnassingbé. Un air de déjà vue datant de la guerre froide. Comment trouver une solution à la crise diplomatique entre la Côte d’Ivoire et le Mali?

Toutefois, New-York confirmera un manquement: « certaines mesures n’ont pas été suivies et la Mission s’efforce de mieux comprendre comment ces dysfonctionnements ont pu se produire afin d’éviter qu’ils ne se reproduisent à l’avenir” [8]. Un aveu, aux yeux de Bamako, qui considère donc comme un « revirement » à l’accusation de prise d’otage portée par Abidjan.

Tandis que la Côte d’Ivoire et les Nations unies plaide la « bonne foi malgré leurs erreurs administratives », et malgré les premières négociations entamées par le Togo, la justice malienne inculpe mi-août et écroue les militaires détenus pour “tentative d’atteinte à la sûreté de l’État” [9].

Ainsi, la junte malienne érige cette affaire en manifestation de la souveraineté dont elle dit avoir fait un principe cardinal vis-à-vis de la France, poussée vers la sortie des négociations ainsi que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) et même la mission de stabilisation de l’ONU (Minusma).

 

II- Le temps des négociations qui signent une confiance rompue:

 

Si peu de détails ont fuité sur le contenu des négociations destinées à “promouvoir à la paix entre le Mali et la Côte d’Ivoire”, les griefs des autorités maliennes envers le pouvoir ivoirien vont bien au-delà de l’affaire des soldats, souligne le juriste malien Mamadou Ismaïla Konaté, garde des Sceaux sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta. “Bamako juge Alassane Ouattara responsable des pressions et sanctions imposées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) contre les militaires putschistes, pour les contraindre à organiser des élections démocratiques dans un délai de 24 mois. Il est vrai que la Côte d’Ivoire est l’une des principales puissances économiques de cette communauté et à ce titre a un pouvoir décisionnel très important. Les embargos, imposés à deux reprises contre le Mali et la fermeture des frontières ivoiriennes en particulier ont été perçus comme une trahison par Bamako de la part de son voisin » [10].

 

Par ailleurs, le Mali a exigé que la Côte d’Ivoire reconnaisse sa responsabilité et exprime “des regrets” pour le déploiement de soldats sur son territoire sans cadre légal, selon des sources diplomatiques proches des négociations. Bamako demande également à Abidjan de lui livrer des personnalités maliennes présentes en Côte d’Ivoire et recherchées par la justice du Mali, selon ces sources. Autant de conditions rejetées par le gouvernement ivoirien, qui a affirmé que le processus de libération “sera peut-être long”.

De plus, le recours par la Côte d’Ivoire à l’arbitrage de la Cédéao est catégoriquement rejeté par le Mali. Un sommet des chefs d’État de l’organisation ouest-africaine est prévu la semaine prochaine, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. La Côte d’Ivoire en appelle à l’institution sous-régionale pour obtenir la libération de ses soldats. Une « instrumentalisation de la Cédéao », selon le gouvernement malien de transition, qui annonce déjà ne se sentir « nullement concerné par cette procédure » [11]. Le processus atteint son apogé lorsque la Cédéao donne au Mali un ultimatum temporel avec comme date le 1er janvier pour libérer les soldats sous peine de nouvelles sanctions, un ultimatum non respecté par Bamako [12].

 

 

 

III- Un conflit devenu régional aboutit à accord:

 

Plus le temps avance, plus on constate que le conflit tend à devenir régional du fait des alliances avec la Cédéao. Pour Abidjan, le dossier est devenu « politique et diplomatique », et c’est le président Alassane Ouattara qui serait directement visé. « L’antécédent entre Bamako et certains chefs d’État de la Cédéao [13] pourrait davantage durcir les conditions d’une éventuelle libération de ces militaires ivoiriens détenus par Bamako. »

Si le conflit perdure entre le Mali et la Côte d’Ivoire, c’est aussi en raison d’un flou sur le statut de ces soldats ivoiriens, que les Nations unies n’ont toujours pas clairement levé. L’ONU avait dans un premier temps assuré que les soldats ivoiriens arrêtés bénéficiaient du statut NSE (National Support Elements). En d’autres termes se sont des troupes qui ne font pas partie de la Minusma mais qui viennent lui apporter un soutien. Toutefois, quelques jours plus tard, cette dernière fait machine arrière. Depuis, les Nations unies ont expliqué, dans une note rendue publique par Bamako, que les soldats ivoiriens intervenaient bien dans le cadre onusien, pour « assurer la sécurité à la base des NSE allemands » à Sénou, où se trouve l’aéroport de Bamako. Mais sans préciser clairement dans quelles conditions.

En revanche, le silence de l’Allemagne (qui compte au Mali un contingent de casques bleus et des NSE pour les appuyer) conforte bien l’idée d’un doute à avoir concernant l’honnêteté de la Côte d’Ivoire car  interrogé par les autorités maliennes de transition, elle a affirmé ne pas avoir de contrat avec les soldats ivoiriens arrêtés, ce que la Minusma a confirmé. Enfin, un cadre onusien directement impliqué dans le dossier déplore que les Nations Unies ne prennent pas leur part de responsabilité [14].

 

Un petit pas vers la paix va être réalisé lorsque 3 femmes militaires vont être libérées fin août pour “raisons humanitaires” à l’issue d’une médiation togolaise. Ils sont désormais 46, nés entre 1972 pour le plus âgé, et 1999 pour le plus jeune. Des hommes appartenant aux forces spéciales ivoiriennes, pour la plupart. Le 28 septembre, le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin affirme lors d’une visite à Abidjan, que Paris est “indigné” par le sort des 46 soldats ivoiriens. Il qualifie la situation de “prise d’otages“. “Notre soutien est total auprès du gouvernement de la Côte d’Ivoire pour ces soldats qui sont aujourd’hui emprisonnés“, avait-il souligné à l’issue d’une rencontre avec le président ivoirien Alassane Ouattara [15].

 

Plusieurs missions de médiation vont être mises en place pour tenter de trouver une issue. Le 29 septembre, une mission de haut niveau dépêchée au Mali par la Cédéao a rencontré le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, pour essayer de dénouer cette crise diplomatique. Peu avant de recevoir cette mission, la junte malienne avait prévenu qu’elle ne se laisserait pas imposer une solution. Le 22 décembre, une délégation officielle ivoirienne a rencontré les autorités maliennes dans une ambiance “fraternelle” et le ministre ivoirien de la Défense a assuré que l’affaire était “en voie de résolution » [16].

 

Cette diplomatie régionaliste a finalement conduit, à la signature d’un mémorandum d’entente relatif à la promotion de la paix et au renforcement des relations d’amitié, de fraternité et de bon voisinage entre Abidjan et Bamako, le 22 décembre 2022 dans la capitale malienne. Le ministre d’État, ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, représentait la partie ivoirienne quand celle malienne était assurée par son Président de la transition. La Cédéao a également décidé de ne pas mettre à exécution sa décision de sanction envers le Mali [17].

 

 

Conclusion:

Dans un discours prononcé par Alassane Ouattara, il déclare que « maintenant que cette crise est derrière nous, nous pourrons reprendre des relations normales avec le Mali”, tout en insistant sur le bien-fondé de la mission des soldats ivoiriens, qualifiés de “héros” envoyés au Mali pour “apporter la paix » [18]. Le Président ivoirien a exprimé sa profonde gratitude et celle de son pays aux différents Chefs d’État qui se sont impliqués dans la libération des soldats Ivoiriens, notamment les Présidents Faure Gnassingbé du Togo et Umaro Sissoco Embaló de Guinée-Bissau, Président en exercice de la CEDEAO. Il a, en outre, salué l’implication du Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, qui a apporté des clarifications nécessaires dans ce dossier.
Soucieux d’entretenir des relations de bon voisinage avec l’ensemble des pays tout autour, le Président Ouattara s’est engagé à poursuivre des relations normales avec le Mali, “un pays frère”, après cette parenthèse qu’il a qualifiée de “terrible incompréhension » [19].

Depuis que l’affaire a éclaté, Bamako et la Minusma ont remis à plat les procédures de rotations des militaires étrangers allant et venant au Mali, et la Côte d’Ivoire s’est engagée à les respecter. Plusieurs centaines de casques bleus ivoiriens sont même arrivés récemment au Mali et sont déployés dans le Nord, à Tombouctou. En revanche, en l’absence de clarification nette et définitive de la part de l’ONU, le Mali peut continuer d’affirmer qu’« aucune base légale » ne vient à ce jour « justifier » la présence ni la mission des soldats ivoiriens [20].

[1] https://corporate.dw.com/fr/quelle-issue-à-la-tension-entre-la-côte-divoire-et-le-mali/av-62839458 Consulté le 18/01

[2] https://www.ege.fr/infoguerre/ce-que-revele-la-confrontation-recente-entre-le-mali-et-la-cote-divoire

[3] https://information.tv5monde.com/afrique/pourquoi-46-soldats-ivoiriens-etaient-detenus-au-mali-483377

[4] https://www.france24.com/fr/afrique/20230108-libération-des-soldats-ivoiriens-la-fin-de-la-brouille-entre-le-mali-et-la-côte-d-ivoire

[5] https://www.france24.com/fr/afrique/20230108-libération-des-soldats-ivoiriens-la-fin-de-la-brouille-entre-le-mali-et-la-côte-d-ivoire

[6] https://information.tv5monde.com/afrique/pourquoi-46-soldats-ivoiriens-etaient-detenus-au-mali-483377

[7] https://corporate.dw.com/fr/quelle-issue-à-la-tension-entre-la-côte-divoire-et-le-mali/av-62839458

[8] D’après une déclaration de la Minusma le 26 juillet 2022

[9] https://www.france24.com/fr/afrique/20230108-libération-des-soldats-ivoiriens-la-fin-de-la-brouille-entre-le-mali-et-la-côte-d-ivoire

[10] https://www.france24.com/fr/afrique/20230108-libération-des-soldats-ivoiriens-la-fin-de-la-brouille-entre-le-mali-et-la-côte-d-ivoire

[11] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220916-mali-côte-d-ivoire-la-perspective-d-un-règlement-diplomatique-se-complique

[12] https://www.liberation.fr/international/afrique/retour-de-soldats-gracies-au-mali-la-cote-divoire-pour-des-relations-normales-avec-bamako-20230108_LDANWONTNZH2LHM2TW6PA4VDHU/

[13] En raison des sanctions infligées par la Cédéao au Mali entre janvier et juillet dernier.

[14] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220916-mali-côte-d-ivoire-la-perspective-d-un-règlement-diplomatique-se-complique

[15] https://information.tv5monde.com/afrique/pourquoi-46-soldats-ivoiriens-etaient-detenus-au-mali-483377

[16] https://information.tv5monde.com/afrique/pourquoi-46-soldats-ivoiriens-etaient-detenus-au-mali-483377

[17] https://www.gouv.ci/_actualite-article.php?recordID=14547

[18] https://www.france24.com/fr/afrique/20230108-libération-des-soldats-ivoiriens-la-fin-de-la-brouille-entre-le-mali-et-la-côte-d-ivoire

[19] https://www.gouv.ci/_actualite-article.php?recordID=14547

[20] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220916-mali-côte-d-ivoire-la-perspective-d-un-règlement-diplomatique-se-complique

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