IPSA AFRIQUE

L’armée française au Mali à travers l’opération Barkhane, révélatrice du besoin de repenser la posture et l’influence française en Afrique de l’Ouest

Article écrit par Lamia Tounsi, Rédactrice-Analyste en gestion des crises chez IPSA Initiative pour la Paix et la Sécurité en Afrique

La France a depuis, la décolonisation, souhaité préserver et maintenir un lien particulier avec ses anciens pays colonisés. Inscrite dans la « Pax Gallica », cette politique assumée et mise en valeur par les différents chefs de gouvernement français se traduisait par une influence stratégique de la France dans ces territoires. Alliés depuis des décennies (lien historique, de sécurité, amical ainsi que culturel), et fort de la réussite militaire de l’Opération Serval en 2013 [1], sans oublier cette quête perpétuelle en relations internationales régie par le besoin[2] d’acquisition de nouveaux territoires et de nouvelles zones géographiques pour étendre son influence. L’Afrique de l’Ouest semble être sans aucun doute un objet de convoitise. Sa présence militaire justifie le rôle de puissance moyenne de la France à l’échelle internationale. Ce qui fut souvent appelé « la Françafrique », expression de Jacques Foccart[3] , pour désigner cette relation très ambigüe entre la France et ses anciennes colonies africaines est aujourd’hui pointée du doigt par le Mali pour diverses raisons. En effet, l’instabilité politique, institutionnelle ainsi que la grande place prise par la France sur le jeu sécuritaire laisse ainsi de plus en plus place à un sentiment anti-français en Afrique de l’ouest.  Mais alors quelle place pour l’influence militaire française au Sahel, et plus précisément au Mali ? Quel rôle la France souhaite avoir ? Mais surtout quelle place le Mali souhaite accorder dorénavant à son allié Français ?

Afin d’apporter des éléments de réponses, nous allons dans un premier temps nous pencher sur les raisons du sentiment anti-français de plus en plus présent.  Puis, nous allons voir que ce partenariat entre Bamako et Paris manque d’équilibre et de répartitions des missions.  Pour enfin conclure sur des pistes de réflexions et perspectives.

 

 

  I-Une influence en Afrique de l’Ouest de plus en plus contestée

 

      A- Une instrumentalisation des tensions politiques en faveur d’un retrait militaire

Lundi 2 mai 2 022, Bamako a fait le choix de rompre ses accords de défense partagés avec la France. Le gouvernement justifie cette décision en pointant du doigt « les multiples violations » de l’espace aérien de l’Etat Malien et a accusé les troupes françaises de l’opération Barkhane, sur son propre sol d’avoir violé son espace aérien et d’espionnage. En effet des images ont été diffusées montrant des images de guerre de l’armée française et plus particulièrement des images de drones dans la base militaire de Gossi, dans le nord du Mali. Opérationnelle depuis 2018, cette base a été d’une importante cruciale pour la force d’intervention Barkhane puisqu’elle a pu maintenir un climat de sécurité dans la zone ainsi qu’une pression sur les groupes djihadistes.

En utilisant le terme violation, cela signifierait que la présence militaire française au Mali, à travers Barkhane, est illégale, et de ce fait, entrave à la fois le droit international, l’accord régit par les deux parties mais également la souveraineté de l’Etat Malien. Cette accusation n’est pas anodine. En effet, elle arrive au moment où la présence militaire des troupes françaises en Afrique ou tout du moins au Mali, n’est plus autant acceptée qu’auparavant.

Ces accords de défense (communément appelés Status of Force Agreements) posent en effet le statut juridique et organisationnel de l’opération Barkhane[4] mais également l’opération européenne Takuba, sans oublier le traité de coopération de défense de 2014 entre les deux Etats.

Alors que les troupes de l’armée française préparent leur départ, cette rupture sonne « injustifiée » et incompréhensible du côté français. Cette guerre à l’information entache les relations amicales des deux Etats, liés depuis de nombreuses années par des accords de défense.  Cette discorde serait davantage un problème diplomatique que militaire d’où ce sentiment d’incompréhension de la part des troupes françaises. Cet acte unilatéral de la part de Bamako, sonne comme une escalade dans les relations de longues dates entre les deux Etats.Le retrait des forces françaises arrive au moment où l’Etat Malien souhaite se détacher de toutes sortes de présences étrangères sur son sol, qu’elle soit française ou européenne au sens large.

 

        B- Un vide sécuritaire contrebalancé par la présence Russe ?

Cette dégradation des relations bilatérales entre Bamako et Paris est de plus en plus palpable depuis l’arrivée de paramilitaires provenant du groupe Russe Wagner au Mali. Des images accusant l’armée française d’ensevelir des corps sans vies ont été diffusées par le groupe Wagner.  Cet acte discréditant la France, permet à la Russie de placer ses pions en Afrique dans un contexte de contestation internationale dû à son intervention militaire en Ukraine.

Couper les accords de défense entre les deux amènerait le Mali à revoir sa politique de défense et de rester avec un vide sécuritaire, alors que la situation sécuritaire se dégrade de plus en plus dans la zone des trois frontières[5] où se concentre une grande partie des menaces (groupes radicaux armés, banditismes, conflits communautaires etc.)

Le peuple ainsi que l’Etat malien souhaite décideur de leur propre sort et ne veulent plus qu’une politique qui aura des conséquences sur leur territoire leur soit imposée par une force étrangère.

Ce vide sécuritaire dont les groupes djihadistes de la région tirent partis, inquiète non seulement le Quai d’Orsay mais également l’Union Européenne. En effet, selon un rapport de l’Insitute for Economics & Peace[6], le terrorisme au Mali ne cesse de gravir du territoire, au point d’occuper la septième place des pays les plus touchés en 2021.

Toutefois, ce vide sécuritaire qu’aurait pu laisser l’armée française a été contrebalancé par la présence du groupe Russe Wagner, proche du pouvoir. Une implication croissante et une montée de l’influence Russe au Mali pose plusieurs interrogations sur de nombreux points dont la sécurité du pays ainsi que la lutte contre les groupes terroristes de la zone. En effet, la lutte contre le terrorisme au Mali ( mission principale des opérations françaises dans le pays) peut-elle être menée à bien par la Russie ? Le Mali est-il sur le point de s’isoler sur le plan international ?

Ces éléments sont à nuancer pour plusieurs raisons car bien que moins importante  en terme d’effectifs mais également de moyens, l’armée malienne n’a jamais été totalement écartée de la sécurité de son territoire. Mais il est indéniable que les administrations des armées des pays de la région se retrouvent souvent dans une difficulté constante (corruption etc.) empêchant ainsi son bon fonctionnement. De plus,  le Mali cherche à combler ce vide par le biais d’autres partenaires régionaux tels que la Russie, la Chine ou encore la Turquie. Mais aujourd’hui, il est certain que la Russie se sert de ce vide et ce mécontentement de la jeunesse malienne pour instrumentaliser cette discorde et se faire une place sur le continent.

 

II- Un partenariat déséquilibré

     A- La sécurité au Mali : une affaire française

On ne peut parler de sécurité en Afrique de l’Ouest sans parler de la France. De ce fait, la région du Sahel représente pour la France un moyen d’influence sans faille sur le plan international. Bien que le Mali ne soit pas exclu du maintien de sa sécurité, la France dispose, à elle seule de la mission cruciale de la lutte contre le terrorisme dans la zone.

La France au Mali, doit répondre et tenter de gérer des menaces qui peuvent lui nuire de manière directe et indirecte, c’est-à-dire sur le plan national ou international à travers la lutte contre les groupes djihadistes.

En effet, un Etat qui décide d’engager ses troupes (en prenant en compte les risques que cela engendre), représente une prise de position claire et assumée de ses intérêts. Engager une partie de son armée dans un pays étranger est une politique très coûteuse[7] pour un Etat, c’est la raison pour laquelle c’est sans doute l’outil de politique étrangère le plus ferme et le plus lourd de sens.

La France a fait le choix d’intervenir au Mali, et dans le continent africain, à plusieurs reprises depuis la fin de son Empire Coloniale, gardant ainsi un lien inéluctable dans ses anciennes colonies.

Ce lien dans son ancien pré-carré[8], positionne ainsi la France comme une puissance régionale sur ces questions sécuritaires.  Ainsi, la sécurité et la défense de ses anciennes colonies sont monopolisées par la France. Elle se doit, au sens de mission/ devoir, de maintenir la paix et la sécurité en Afrique francophone. C’est en ce sens que Vauban dans sa fameuse lettre envoyée à Louvois, alors ministre pour Louis XVI en 1673 emploi la fameuse expression de « faire son pré-carré » pour la première fois. En effet, pour ce dernier elle signifie « s’arrondir, en parlant d’un propriétaire qui accroit son domaine, d’un prince qui gagne des territoires ». Le sens moderne de l’expression revient à parler d’une zone d’influence exclusive n’appartenant qu’à un seul Etat. Cette transition entre la France et les anciennes colonies d’Afrique francophones ne serait pas encore totalement achevée.

Un partenariat de «  coopération militaire technique »[9] lie les deux Etats depuis des décennies. En effet, depuis 1985 l’armée française a la possibilité de former les militaires maliens sur place. L’article I de ce même décret dispose et souligne que «  les personnels militaires français sont affectés à une formation dite « mission d’assistance militaire ». L’objectif premier et pas des moindres, est de maintenir une paix  et une sécurité durables sur le long terme au Mali, mais également aux frontières.

Mais après l’annonce du retrait des troupes de la force Barkhane, une question se pose : comment la sécurité au Mali va-t-elle être assurée ? Par qui et par quel biais ?

La France sera toujours présente dans la région du Sahel sans pour autant être présente sur le sol Malien. La sécurité au Mali et dans la région reste un enjeu crucial bien plus que les enjeux économiques.   Forte de sa représentation diplomatique en Afrique, avec pour la plupart du temps une représentation militaire à travers la présence de missions de défense, la France a une position inégalable sur le continent en terme d’influence, de communication (car grandement représentée sur place), ce qui représente un atout majeur pour la Francophonie.

 

     B- La lutte contre le terrorisme : une manière détournée de conservation du pouvoir ? 

La mission initiale de la présence française et européenne au Sahel est principalement la suivante : la lutte contre le terrorisme dans la zone très prisée du Sahel par les différentes mouvances djihadistes. Le 11 janvier 2013, des accords de défense ont été signés entre Paris et Bamako suite à l’opération Serval. Face à l’urgence de la situation sécuritaire et l’avancée des troupes djihadistes vers la capitale Malienne, le gouvernement Malien a demandé à la France une aide militaire en urgence.

Mais, depuis la guerre en Ukraine et le souhait de la France d’européaniser la lutte contre le terrorisme au Sahel, le discours ainsi que la présence des troupes françaises devient de plus en plus difficile à faire entendre.

En effet, le premier Ministre Malien a pointé du doigt ce traité de coopération militaire en affirmant à la télévision malienne que le Mali ne pouvait « même pas survoler son territoire sans l’accord de la France ».  Accusée d’ingérence et d’atteinte à la souveraineté Malienne, la place de l’armée française au Sahel est à reconsidérer.

Premièrement, selon les maliens (et plus particulièrement la jeunesse malienne) la France vivrait encore dans un anachronisme dit historique[10] et serait toujours attachée à la Françafrique. Elle attribuerait et calquerait les mêmes éléments de l’époque actuelle, dans laquelle les Etats sont aujourd’hui indépendants, à l’époque coloniale. L’omniprésence des multiples interventions des forces françaises dans la région du Sahel ont fait réagir les populations locales au point de faire des amalgames, confondant ainsi intervention militaire et ingérence. Cette ambiguïté française est aujourd’hui pointée du doigt par le Mali.

C’est en ce sens qu’Emmanuel  Macron expliquait le 17 février dernier que :

« La lutte contre le terrorisme ne peut pas tout justifier. Elle ne doit

pas, sous prétexte d’être une priorité absolue, se transformer en

exercice de conservation indéfinie du pouvoir ».[11]

 

Rappelons ici l’objectif de l’opération Barkhane qui est de maintenir une pression sur les groupes djihadistes à travers une action militaire de contre-terrorisme. Le but n’étant pas de lutter directement contre les forces djihadistes mais de laisser la place aux partenaires africains locaux de préparer une sortie de crise de manière globale : à savoir consolider l’appareil militaire Malien ce qui facilitera la restauration et la mise en place de l’autorité étatique et donc de ses institutions.  Ce processus long et non sans complications, met en avant les faiblesses de l’Etat Malien mais également du rôle de la France dans le processus d’indépendance de ses anciennes colonies inachevées.

 Cet effort de la France pour européaniser la lutte du terrorisme au Sahel, apparait de plus en plus compliqué à faire valoir. Dans une actualité internationale rythmée, entre autre, par la guerre en Ukraine, s’ajoutant à cela, une rupture diplomatique entre Bamako et Paris, la France doit revoir sa position dans la région ainsi que la posture qu’elle souhaite dorénavant avoir.

 

 

Conclusion :

Pour conclure, le retrait prématuré de Barkhane offre une possibilité de renouveau à ne pas négliger.  Une révision de la posture militaire française, et dans un sens plus large, de la position française en Afrique de l’ouest est à repenser.

 

  • Vers une nouvelle stratégie d’approche en matière de sécurité en Afrique de l’Ouest ?

Une révision en réadaptant l’accord, en entre les deux, en le transformant en partenariat, serait plus propice à une meilleure entente diplomatique. Une réunification ainsi qu’un dispositif plus simplifié pérenniseraient les relations diplomatiques entre les deux Etats mais favoriseraient également une meilleure compréhension des enjeux sur place.

Envisager une relation plus discrète et plus durable minimiserait nettement les critiques d’ingérence et d’instrumentalisation envers la France. Il est donc préférable d’opter pour une action militaire de plus courte durée (afin d’éviter que cela fasse écho avec une ingérence) tout en maintenant sa présence en cas de force majeure et d’urgence absolue face à une possible montée en puissance des groupes djihadistes. C’est en ce sens que l’article 35, de la constitution, dispose qu’une autorisation législative est nécessaire pour la prolongation d’une intervention, et ce depuis 2008.

Cette discrétion militaire française ne peut se réaliser sans une stratégie de communication beaucoup plus minime. Cette dernière permettra d’être beaucoup moins mal perçue par les populations locales et l’opinion publique.

  • Des objectifs réalistes en adéquation avec les besoins du Mali

Les ambitions stratégiques de Paris devront être revues à la baisse. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une politique claire et moins ambigüe. La définition des objectifs et missions stratégiques doivent être repensées afin d’être mieux adaptés aux besoins du Mali. Cela suggère donc d’avoir des ambitions réalistes mais surtout de mettre entre parenthèse l’idée « d’opérations extérieures » qui enfermaient les actions des forces françaises dans un champ mimétique. Ce projet doit prendre en compte les nouvelles demandes des pays africains et la réalité sur le terrain, ce qui conduirait ainsi à la France d’avoir une présence certes plus modeste mais sans doute plus en adéquation avec la réalité géopolitique actuelle. De ce fait, les intérêts de la population mais également des différents partenaires seront davantage pris en considération.

  • Une réalité beaucoup plus complexe

Toutefois, cette nouvelle stratégie politique et militaire au Sahel ne se fera pas sans complications. En effet, la participation économique à l’effort de guerre en Ukraine sans compter l’actualité de l’Otan à suivre de près, pourraient avoir un impact beaucoup plus lourd sur les ressources budgétaires réservées au continent Africain.  Un  travail de longue haleine attend le Quai D’Orsay, l’Etat-major des Armées ainsi que le Ministère des Finances sur ces enjeux. D’autant plus que le gouvernement de transition du Mali s’est retiré du G5 Sahel il y a quelques jours dans un contexte sécuritaire de plus en plus tendu et qui ne cesse de se dégrader.

 

 

Bibliographie :

 

  • François Bost, «  Le « pré-carré » français à l’épreuve de la décolonisation et de la mondialisation de l’économie» Bulletin de l’association de géographes français, France, Afrique, Mondialisation, 2010

 

  • Center for Strategic & International studies (CSIS), “Africa’s Security Challenges : a view from congress, the Pentagon, and USAID”, September 29 ,2021

 

  • Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, « Security in Sahel », February 2019

 

  • Marina E. Henke, “Why did France intervene in Mali in 2013? Examining the role of intervention Entrepreneurs,” Canadian Foreign Policy Journal , 26 juillet 2017

 

  • Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, « Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », Focus stratégique, n° 109, Ifri, mai 2022.

 

  • Nations Unies, Sahel : « L’ONU appelle à mener à bien les transitions au Mali et au Burkina Faso rapidement », 18 mai 2022

 

  • Propos liminaires du président de la République, Conférence de presse sur l’engagement

de la France et de ses partenaires au Sahel, 17 février 2022

 

  • Décret numéro 90-1075 du 28 novembre 1990 portant publication de l’accord de coopération militaire technique entre le Gouvernement de la République française et Gouvernement de la République du Mali signé à Bamako le 6 mai 1985

[1] Sous le mandat de François Hollande, qui en choisissant d’intervenir a rompu avec l’image controversée des anciennes interventions militaires françaises en Afrique

[2] Rappelons ici, le besoin des Etats dans les relations internationales la poursuite d’une quête perpétuelle de puissance. En effet, cette quête peut se poursuivre par la guerre, considérée inévitable dans cette école de pensée dans un monde régi par l’anarchie et le chao.

[3] Aussi connu sous le nom de « Monsieur Afrique »

[4] Qui succède à l’opération Serval

[5] Les frontières partagées entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger

[6] Global Terrorism Index 2022 : measuring the impact of terrorism

[7] Avec de nombreuses conséquences en termes de communication, d’influence, d’image mais également de coûts humain et financier

[8] Au sens de domaine réservé, de « chasse gardée ». Toutefois, employer le terme « pré-carré » revient à parler de manière négative du lien étroit et parfois ambigüe entre la France et ses anciennes colonies africaines.

[9] Décret numéro 90-1075 du 28 novembre 1990 portant publication de l’accord de coopération militaire technique entre le Gouvernement de la République française et Gouvernement de la République du Mali signé à Bamako le 6 mai 1985

[10] Au sens de confusion des périodes historiques. Le sentiment ressenti par la jeunesse Malienne que la France n’a pas fait le deuil de son pouvoir d’influence exercé pendant la période coloniale.

[11] Propos liminaires du président de la République, Conférence de presse sur l’engagement

de la France et de ses partenaires au Sahel, 17 février 2022

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