IPSA AFRIQUE

Rupture d’accords de défense entre le Mali et la France : quels impacts sur le retrait progressif des forces armées françaises.

Par Mady Sissoko, Rédacteur chez IPSA

Tout commença par la mise à l’écart de certains colonels membres du premier gouvernement de Moctar Wane. Ainsi le nouveau ministre de la défense soupçonné d’être proche d’un pays Européen a été interpelé le 24 mai 2021 par des militaires proches du vice-président de la transition et conduit sous escorte militaire à Kati. Sans surprise l’armée annonce le lendemain à l’ORTM que le vice-président a mis « hors de leurs prérogatives » le président et le premier ministre de la transition. Dans l’annonce, ils sont accusés de sabotage de la transition par le groupe d’officiers qui a parachevé la lutte du mouvement du 05 juin. Cette décision prise par l’armée a été saluée par certains regroupements de la société civile M5RFP et certaines voix porteuses de l’élite malienne à cause du rapprochement du président Bah Daou et de son premier ministre à la France.

Ce rétropédalage des militaires a été condamné par plusieurs partenaires du Mali telles que la France, la CEDEAO, l’UA… Malgré les condamnations, des concertations ont été ouvertes pour le choix d’un premier ministre qui conduira le nouveau gouvernement de la transition rectifiée selon M5RFP. Juste après la prestation de serment du nouveau président militaire de la transition Assimi Goïta, CHoguel K Maiga a été nommé premier ministre sur proposition du comité stratégique du mouvement M5RFP.

Ces éléments conduiront le Président Français, à annoncer, lors d’une conférence de presse que son pays ne peut pas rester engagé militairement aux côtés d’autorités de fait dont la France ne partage ni la stratégie ni les objectifs cachés. Cela est suivi par son discours du 17 février 2022 annonçant définitivement le retrait coordonné de Barkhane et de la task force Takuba qui sont au Mali dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il faut comprendre que la nomination d’un cadre issu du mouvement populaire du 5 juin est perçue comme une rectification de la trajectoire de la transition selon beaucoup de maliens, car ce premier ministre est obligé de prendre en compte les aspirations légitimes du peuple.

Après la conférence et le discours de retrait des forces françaises et européennes du président français, d’autres cadres du gouvernement français tels que Florence Parly ministre des armées et Jean- Ives Le Drian ministre des affaires étrangères ont aussi tenu des discours qui ont été jugés inappropriés par le gouvernement malien. Quelques mois plus tard, le premier ministre malien a tenu un discours pas comme les autres sur la tribune des Nations unies accusant directement la France « D’abandon en plein vol » qui oblige le Mali à diversifier les partenaires pour faire face à la menace terroriste. Ce discours est aussi jugé « inacceptable et indécent » par la partie française occasionnant une escalade sans appel des tensions entre les deux Etats. Par la suite le Mali annonça l’expulsion de l’ambassadeur français au Mali le lundi 31 janvier 2022 et mit fin aux accords de défense avec la France et ses partenaires européens le 2 mai 2022.

Historique de l’accord de défense entre le Mali et la France et éléments déclencheurs de tensions :

En matière de défense, la république du Mali et la république de la France ont signé à Bamako, le 16 juillet 2014 un traité conformément au respect de leurs engagements internationaux de lutter contre le terrorisme et de l’extrémisme violent. Lors des processus de négociation, les deux parties ont évoqué les considérations en lien avec le passé, les liens d’amitié anciens et profonds et les enjeux liés à ce traité. Il faut rappeler que les objectifs dudit traité étaient de concourir concomitamment à une paix et une sécurité durable sur leur territoire, notamment par la sécurisation des espaces frontaliers et la lutte contre le terrorisme, ainsi que dans leur environnement régional respectif. Cela s’ajoute la mise en œuvre d’une coopération qui peut couvrir les domaines suivants:

– Echanges des points de vue et d’informations relatifs aux vulnérabilités, risques et menaces à la sécurité nationale.

– Organisation, équipement et entrainement des forces, le cas échéant par un soutien logistique pouvant se concrétiser par la session gratuite ou onéreuse de matériels et équipements militaires

– Organisation d’exercices mixtes et conjoints entre leurs forces.

A la lumière de ces éléments, ne peut-on pas se poser des questions à savoir si le président Macron ne cherche pas à chasser par maladresse l’héritage du passé entre le Mali et la France?

Evidemment, Considérant que la France et ses partenaires ont trouvé la légitimité d’intervenir au Mali à travers l’opération serval (Barkhane et Takuba) via le traité de défense de 2014. Avant la signature de ce traité, il existait sans nul doute un sentiment anti Français mais la montée en puissance des joutes verbales entre les deux autorités a amené les maliens (activistes, leaders religieux, politiques, société civile, hommes de culture) à se révolter et à se poser de nombreuses questions sur ce que la France fait au Mali. Il faut bien noter que les maliens n’ont pas du tout compris que malgré la présence Française de Barkhane, de la MINUSMA et de la Force européenne task Takuba, pour traiter cette épineuse question djihadiste et du terrorisme, au contraire ils se sont métastasés et se sont répandu sur presque tout le territoire malien. A cela s’ajoute la rencontre (Une convocation pour certains) de Pau en France qui fut aperçu comme la continuation de la politique de mainmise de la France. Cette rencontre fut aussi l’un des éléments déclencheurs du rejet des maliens de la force Française. Selon bon nombre d’entre eux, elle disposerait déjà d’un agenda caché, qui ne respecte pas le traité ni des engagements internationaux à lutter contre le terrorisme et l’instauration de la paix au Mali, d’autres parlent même de connivence entre les groupes séparatistes du nord. L’ensemble de ces éléments de frustration s’explique aussi à travers le manque de coordination, d’appui technique, tactique et renseignement sur le terrain entre les deux forces conformément aux dispositions du traité. Les positions des FAMAs ont fait l’Objet d’attaques de grande envergure plusieurs fois sans que le partenaire français donne des informations sur d’éventuels mouvements des groupes armés terroristes. Cela réconforte certains observateurs qui sont dans la logiques que la France veut le Mali sans les maliens.

Après avoir fait l’historique de l’accord de défense entre le Mali et la France, il convient de voir les impacts de la rupture du traité de défense.

 

 Les Impacts de la rupture du traité de défense entre le Mali et la France :

Il faut noter que les impacts de la rupture du traité de défense entre le Mali et la France ainsi que les autres partenaires européens ne sont pas à négliger. D’abord les impacts sur les opérations en court sont entre autres ;

Côté français et européen :

  1. Manque de liberté et la légitimité opérationnelle sur le terrain, donc aucune disposition juridique légale ne les autorise à conduire les opérations militaires sur le territoire malien.
  2.  L’arrêt des opérations françaises et européennes en cours
  3. Risque d’attaque de grande envergure des groupes terroristes contre les positions française avant les redéploiements définitifs.

Ensuite, elles ne pourront plus soutenir la Minusma avec leur appui aérien et logistique. L’avenir des forces onusiennes, dont les relations avec la junte restent tendues, est désormais imprévisible. En outre les changements des dispositions relatives aux poursuites judiciaires en cas de violation du droit malien pourraient aboutir à des empoignades juridiques. Enfin il pourrait avoir des entraves administratives de la part du Mali comme la fin de l’exonération douanière en cas d’importation de matériels ou sur le retrait des deux dernières bases françaises de Ménaka et de Gao et le départ des convois logistiques actuellement organisés par Barkhane pour quitter le Mali vers le Niger, pays de redéploiement et de réarticulassions du dispositif français.

Coté Malien :

Ce retrait français et européen oblige la partie malienne à revoir sa politique de reconquête pour un meilleur maillage du territoire, mais force est de reconnaitre que le départ prématuré de ces forces impactera forcement sur la sécurité des personnes et de leurs biens, surtout dans la partie nord du pays car l’espace a horreur du vide. Ces impacts sont entre autres ;

  1. Le repositionnement des groupes radicaux terroristes tels que le GNIM, GSIM et Al-Qaïda et le temps de se réorganiser dans l’espace.
  2. La multiplicité des attaques terroristes, enlèvements, enrôlements forcés d’enfants soldats et de bétails.
  3. Affrontements sans appel entre groupes terroristes rendant la zone invivable aux communautés.
  4. Réouverture de l’espace aux trafics de tous genres (drogue, humain) et autres activité de contre nature.

Par ailleurs, cette situation de porte à faux de ces forces avec le Mali pourrait également aboutir à des incidents militaires sur le terrain si on se base sur les différentes déclarations entre les deux parties. Ce revirement dans le domaine de défense aura sans nul doute une répercussion sur les relations entre les deux Etats (Le Mali et la France) dans d’autres domaines et risque d’être un vecteur pour le Mali d’échapper complètement à la France qui est jugée non sincère dans les relations selon beaucoup de maliens. A travers l’évolution des choses sur le terrain nous pouvons dire déjà que ce nouveau partenaire serait la Russie à travers ses prises de positions officielles en faveurs du Mali et les différentes missions interministérielles entre les deux Etats.

Conclusion :

En définitif, si la France est considérée comme le bras armé de l’OTAN selon certains observateurs pour barrer la route à la fédération de la Russie dans le sahel, elle n’a jamais été dans une situation de fébrilité face à ses anciennes colonies comme nous la constatons aujourd’hui. La France était dans une posture intégrée au Mali en particulier et en Afrique en général, elle contrôlait l’économie, la diplomatie, la sécurité à travers ses hommes d’ombres (service de renseignement) …  Ces nouvelles donnes au Mali traduisent l’arrogance de la France à trop sous-estimer les maliens en particulier et les africains en général car sa diplomatie et ses conseillers militaires n’ont absolument pas travailler pour anticiper cette rupture de confiance et de rejet comme dans le passé. Elle a oublié de distinguer cette génération qui n’a rien appris de la France contrairement à la génération de l’indépendance. La solution de proposition de l’instauration d’une politique de partenariat fondée sur la sincérité mutuelle devrait venir de la France à travers une nouvelle manière de faire la diplomatie, en rupture total avec le passé. C’est cette volonté manifestée des maliens à rompre avec le passé qui justifie en ce moment les différentes colères et les sorties ratées des officiels français y compris le président Macron pour s’indigner contre les décisions des autorités maliennes, car ils se trouvent aujourd’hui dans une situation inhabituelle. Et pire encore, elle se voit perdante après avoir investie une somme faramineuse et perdre plusieurs de leurs soldats au Mali, même si elle a connu de pareil échec dans le passé au Nigeria (la guerre de Biafra), au Rwanda en 1994 et en Centrafrique, elle a du mal à expliquer cet échec aux français. Cependant cette nouvelle situation géostratégique risque de favoriser la position d’autres puissances telles que la fédération de Russie, la Chine, la Turquie, et même certains pays membre de L’OTAN   à venir se positionner dans le sahel précisément au Mali. Cela passerait à travers des propositions de partenariat gagnant- gagnant qui risque de compromettre à vie la chance de la France d’attendre les présumés objectifs cachés dans le sahel.

Références :

  • Traité de coopération militaire du 16 juillet 2014 entre le Mali et la France
  • Arrogant comme un Français en Afrique de Antoine Glaser édition fayad
  • Extrait du discours du premier ministre du Mali sur la tribune de l’ONU le 25 septembre 2021
  • Discours d’annonce du retrait de la force Française et Takuba au Mali par Emmanuel Macron du 17 février 2022
  • Communiqué officiel du gouvernement Malien su la fin de la coopération de défense entre le Mali et la France du 2 mai 2022

 

 

 

 

 

 

Commenter