IPSA AFRIQUE

La transition en Guinée : A quand les élections libres et démocratiques ?

Par Amivi Aboueno Viviane ABASSA.

Depuis le 5 septembre 2021, la République de Guinée est dirigée par une junte militaire, avec à sa tête un ex-légionnaire de l’armée française, le colonel Mamadi Doumbouyah. Ce coup d’État militaire intervient au moment où le pays traversait de nombreuses crises, notamment économiques et politiques. La Guinée connait un lourd passé d’instabilité politique, comme la plupart des États africains, dû à la mauvaise gouvernance des élites.

En effet, à la suite de la mort du premier président Ahmed Sékou Touré, en 1984, le colonel Lansana Conté s’était emparé du pouvoir jusqu’à sa mort en 2008. Pendant plusieurs décennies, la Guinée a donc connu une stabilité politique, contrairement à certains pays de l’Afrique de l’Ouest, notamment la Côte d’Ivoire, le Liberia ou la Sierra Leone qui étaient plongés dans des guerres civiles.

C’est donc à la suite du décès de Lansana Conté, qu’un jeune capitaine du nom de Moussa Dadis Camara accéda au pouvoir jusqu’à son renversement en 2009. Dès lors, un autre officier de l’armée, le général Sekouba Konaté, qui était ministre de la Défense sous le règne du Capitaine Camara, devient de facto président de la transition jusqu’à l’organisation des premières élections démocratiques. En 2010, c’est le professeur Alpha Condé qui a été déclaré vainqueur de l’élection, et ce en dépit de quelques contestations de la part de certains leaders politiques.

Ainsi, depuis la prise du pouvoir par la Junte guinéenne, nombreux sont ces observateurs nationaux qu’internationaux, qui craignent une confiscation dans la durée de ce pouvoir par les militaires. La question qui demeure sur toutes les lèvres reste à savoir à quand espérer le retour des élections libres et démocratiques en Guinée ?

Nous tenterons dans notre analyse, de revenir sur le paysage politique la Guinée aux mains de l’ancien président Alpha Condé, et ce qui a suivi après son renversement.

De là, il convient d’aborder le sujet dans une première partie comme tel :  l’Eternel chemin du combattant de la démocratie africaine : retour sur les moments clés de la vie politique guinéenne sous le règne du président Condé. Ensuite une seconde partie : deux ans de transition militaire : bilan et perspective pour le retour a des élections libres et démocratiques.

 

 

    I. L’ETERNEL CHEMIN DU COMBATTANT DE LA DEMOCRATIE AFRICAINE : RETOUR SUR LES MOMENTS CLES DE LA VIE POLITIQUE GUINEENNE SOUS LE REGNE DU PRESIDENT CONDE

 

Tout d’abord, il n’est plus a rappelé que la Guinée après son indépendance n’était pas dotée d’institutions fortes capables de résister aux chocs politique, économique et social. C’est un pays où un seul homme décide tout, c’est-à-dire qu’il monopolise les trois pouvoirs à sa charge. Il n’y a aucune séparation de pouvoirs entre l’exécutif, le judiciaire et le législatif, en dépit de la séparation formelle écrite sur papier. Premier pays de l’Afrique francophone à prendre son indépendance en 1958, la Guinée est également victime de son passé anticolonial, du fait d’avoir dit au président français Charles de Gaulle « Non » à son projet de communauté franco-africaine. Comme le soulignait le président Sékou Touré le jour de la proclamation de l’indépendance : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage. » Cette phrase restera pour toujours dans les annales de l’histoire des relations franco-guinéennes. D’ailleurs, elle a coûté cher à la Guinée car, par la suite, les autorités françaises ont tout fait pour isoler la Guinée sur la scène internationale, mais sans grand succès.

Dès lors, une crise politique s’installe dans cette jeune nation suivie par des arrestations d’espions franco-guinéens qui voulaient à tout prix déstabiliser le gouvernement guinéen pour le compte de la France. D’autre part, la Guinée n’a pas eu accès aux capitaux occidentaux afin de combler son autosuffisance alimentaire, bâtir une éducation de qualité ou créer de l’emploi pour la population, notamment à cause des relations diplomatiques que le président Sekou Touré a tissé avec l’Union soviétique. Ajouté à cela l’influence quasi présente de l’armée dans la gouvernance. Ces facteurs ont contribué en quelque sorte à placer la Guinée dans une situation d’instabilité politique qui se poursuit jusqu’à présent.

Ainsi, c’est bien d’un colosse aux pieds d’argile qu’avait déjà hérité l’ancien président Alpha Condé en accédant au pouvoir en 2010.

Si sur le plan diplomatique, et économique, le bilan du règne du Président Alpha Condé peut sembler appréciable, sur d’autres plans en revanche comme l’exercice de la démocratie et la gouvernance, la jouissance des libertés fondamentales et des droits constitutionnels, il n’en fut malheureusement pas de même.

En effet, il est de constat que les obstacles et les violations répétées des libertés et droits élémentaires ont fini par avoir raison de leurs libres exercices durant les mandats successifs de l’ancien Président particulièrement au cours du second et du troisième mandat avorté par le coup d’état du 05 septembre dernier.

Ce règne a fait état de plusieurs dérives dont des repressions le plus souvent disproportionnées, contre des mouvements et manifestations de contestations de l’opposition avec leur corollaire de pertes en vies humaines et de dégâts matériels. Cela est d’autant plus surprenant du fait que le l’homme qui venait d’accéder au pouvoir l’a été après 40 ans de luttes politiques acharnées contre les injustices, la confiscation des libertés, les violations de lois etc.

Au point de vue de la gestion des affaires publiques, l’ancien homme fort de la Guinée avait réussi à transposer et appliquer les méthodes peu démocratiques qu’il avait utilisées jadis pour diriger sa formation politique, le RPG (Rassemblement du Peuple de Guinée), au fonctionnement et à la conduite des affaires de l’État.

Le Président Alpha Condé, au fil de ses mandats, s’est retrouvé ainsi au cœur de toute la vie politique administrative et économique voire judiciaire du pays. C’est dans cette optique qu’il décida également de faire modifier la constitution afin de briguer un troisième mandat en 2020, malgré la grogne d’une partie de la population.

Aussi, sur le plan économique, l’économie guinéenne est loin d’être au point, alors que des hausses de taxes, la cherté de la vie, les pénuries en eau et électricité, et la pandémie de la covid-19 ont contribué à attiser un peu plus mécontentement des civils, sans compter les crises provoquées par ethnocentrisme du pouvoir en place.

C’est donc dans ce climat tristement tendu que le président Alpha Condé a été renversé et mis aux arrêts le 05 septembre 2021 par des militaires dirigés par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya. Ce dernier une fois à la tête du pays a ordonné la formation d’un CNRD (Comité National du Rassemblement pour le Développement) en vue de tenir le pays loin de la corruption et de la mauvaise gouvernance, entre autres, tout en proclamant une période de transition avant l’organisation des prochaines élections présidentielles démocratiques en Guinée.

     II. DEUX ANS DE TRANSITION MILITAIRE : BILAN ET PERSPECTIVE POUR LE RETOUR A DES ELECTIONS LIBRES ET DEMOCRATIQUES

 

Le 05 septembre 2023 a marqué le deuxième anniversaire du renversement du président Alpha Condé. Selon Bah Oury, président de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD), le bilan du régime du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya tourne autour de quatre principaux acquis.

En effet, pendant cette période de transition, il a été instauré une Cour de répression des infractions économiques et financières qui a contribué bon an mal an à la détention préventive de beaucoup de lieutenants de l’ancien président, pour des faits de corruption et de détournement de deniers publics. Le deuxième aspect, c’est le lancement du procès du 28 septembre 2009, le massacre qui a été qualifié par les Nations Unies de crime contre l’humanité. Le troisième pilier, est le lancement des assises nationales. Le quatrième aspect, repose sur la concrétisation de projets d’infrastructures.

Du côté de l’Union des forces démocratiques de Guinée, dirigé par l’opposant en exil, Cellou Dalein Diallo, le regard porté sur la junte au pouvoir est tout autre. « Deux années de fausses promesses, deux années de violences perpétrées contre les acteurs de la démocratie, de manque de dialogue, de tentative de déstabilisation et d’exclusion des acteurs politiques et sociaux du processus électoral » estime Joachim Baba Milimouno, coordinateur de la cellule de communication de l’UFDG. Il poursuit en affirmant : « L’autre déception, c’est qu’aujourd’hui nous comptabilisons 25 citoyens tués par balles, de sang-froid, par les forces de défense et de sécurité, à l’occasion des manifestations pacifiques appelées par les forces vives et le FNDC. »

Quant à la société civile guinéenne, elle a aussi déploré la gestion de la transition par le CNRD et l’actuel gouvernement de transition. Selon les analyses du Front National pour la Constitution, FNDC : des leaders socio-politiques ont été empêchés de sortir pour aller se faire soigner, d’autres contraints à l’exil comme il est actuellement le cas de l’ancien président déchu, les libertés publiques et les droits humains sont bafoués.

Par ailleurs, depuis les événements du 05 septembre 2021, l’Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH) suit avec beaucoup d’intérêt la conduite de la transition politique en cours en république de Guinée. Si elle se félicite des différentes initiatives mises en route par le Comité National de Rassemblement pour le développement (CNRD) visant à améliorer le cadre de la gouvernance dans le but de l’amélioration des conditions de vie des populations guinéennes, elle reste très préoccupée par l’évolution du climat sociopolitique. Son intervention a donc constitué à émettre des recommandations :

Au Président de la Transition, Colonel Mamady DOUMBOUYA, pour la mise en place d’un cadre de dialogue inclusif, conformément à l’esprit de l’article 77 de la Charte de la transition et de garantir la liberté de manifestation conformément aux engagements internationaux de la Guinée en matière de droits humains ;

Aux forces vives de la Nation de privilégier pour toutes leurs revendications, le dialogue et la recherche du consensus ;

A la CEDEAO, l’Union Africaine et aux Nations Unis d’aider et de soutenir la mise en place d’un cadre de dialogue inclusif et consensuel pour un retour rapide à un Ordre Constitutionnel afin d’éviter que la Guinée ne retombe dans une crise politique dans une sous-région ouest africaine déjà en situation d’instabilité majeure.

C’est dans cet élan que fin 2022, le gouvernement guinéen de la transition et la CDEAO s’étaient accordés sur une transition de 24 mois, à compter de janvier 2023. Pour ce faire, dix points devant conduire au retour à l’ordre constitutionnel ont été adoptés. Parmi eux, l’adoption d’une nouvelle Constitution, la refonte du fichier électoral et l’organisation des élections générales. Mais Mamadou Kaly Diallo de la structure Démocratie sans violence, la Baïonnette Intelligente reste pessimiste. Selon lui : « Il n’y a aucune visibilité, ni de lisibilité sur les actions devant mener à un retour rapide à l’ordre constitutionnel, » ce qui sous-entend une certaine trahison des engagements pris par le chef de la Junte.

Face à ce sentiment mitigé de la communauté internationale, de certains acteurs politiques et d’une partie de la population qui craignent une transition sans fin, Ousmane Gaoual Diallo, Ministre des Postes, des Télécommunications, et porte-parole du gouvernement de la transition a tenu à rassurer sur l’avancée des engagements pris surtout en ce qui concerne l’établissement d’une nouvelle constitution avant les prochaines élections prévues pour fin 2024, et d’autres crises sociaux économiques comme les pénuries d’électricités et d’eau. Il a également réaffirmé la volonté du gouvernement de la transition de rendre le pouvoir aux politiques sans ingérence.

Selon lui, il n’existerait pas d’obstacles à ce jour qui indiquerait que les délais ne seront pas tenus, assure t’il.

 

 

CONCLUSION

Dans le but d’une mise en œuvre effective des engagements du gouvernement de la transition en Guinée, il a été mis en place un Comité de suivi de mise en œuvre de chronogramme de la transition qui se réuni tous les mois avec des représentants de l’Union Européenne, de la CEDEAO, du G5.

Selon les analyses de ces observateurs, les délais seront tenus, du fait de l’avancée constatée des projets entrepris. Mais encore faudra-t-il que les financements requis pour mener à terme cette transition soient au rendez-vous.

Ainsi, malgré le pessimisme qui entoure leurs projets, tous les espoirs pour construire cette Guinée démocratiquement exemplaire, sont toutefois rivés sur le CNRD et ses acteurs, pour ne serais ce qu’établir des bases solides du changement qu’entend voir toute la population guinéenne. Notons qu’une réussite représenterait un important enjeu politique sur la capacité jusqu’ici remise en cause de l’armée de devoir intervenir quand cela semble nécessaire pour redresser un Etat.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

  • Sources écrites

 

  1. GUINÉE LES VÉRITABLES RAISONS D’UN COUP D’ETAT INIQUE : Comment le président Alpha Condé est-il devenu un homme à abattre ?

De Adrien Poussou, Edition l’Harmattan, publié le 05 Septembre 2022

 

  1. Parole d’officier. Coup d’Etat ou transition démocratique en Guinée

De Ayissi, Edition Panafrika/ Silex/ Nouvelles du Sud

 

  1. Politique africaine n°169. La Guinée depuis Condé

De karthala

 

  • Sources internet

https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3392

https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1965

https://www.bbc.com/afrique/articles/cg3l30vq8y5o

https://www.ouestaf.com/deux-ans-du-cnrd-en-guinee-la-guerre-du-bilan/

https://mosaiqueguinee.com/transition-logdh-fait-des-recommandations-a-la-junte-aux-fvg-et- https://mosaiqueguinee.com/le-president-alpha-conde-lhomme-et-son-bilan-face-a-lhistoire-suite-et-fin/ a-la-cedeao-pour-dissiper-la-crise-declaration/

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