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La multiplication des coups d’Etat au Sahel: le cas du Niger

Par Amivi Aboueno Viviane ABASSA.

Pour comprendre la récurrence des coups d’état dans la zone Afrique sahélienne, notamment au Niger, il est nécessaire de remonter dans l’histoire des relations du continent africain avec le reste du monde.  L’origine des coups d’états au Sahel découleraient directement de la période d’intense rivalité entre les Etats Unis et l’Union soviétique pendant la guerre froide, entre 1946 et 1991. Par ailleurs, les crises actuelles apparaissent d’une tout autre nature que celles qui affectaient les Etats africains dans les années qui ont suivi les indépendances. Aux luttes idéologiques de la guerre froide ont succédé une double déstabilisation en raison de l’insertion à marche forcée dans la mondialisation économique, d’une part, et, d’autre part, de la démocratisation improvisée d’Etats sans moyens d’ériger une réelle souveraineté. Ces deux phénomènes ont abouti à délégitimer les constructions nationales naissantes et à rendre purement fictive la souveraineté de ces pays.

Dans notre analyse sur le sujet de la multiplication des coups d’état au sahel, il demeure pertinent de se poser la question suivante sur le cas du Niger à savoir : pourquoi le Niger peine à recouvrer la voie vers une stabilité politique étatique ? ce qui nous permettra de mettre en lumière les raisons antérieures et actuelles qui facilitent les putschs au Niger, l’influence permanente des acteurs internationaux et les incidences directes sur le Niger et le sahel.

De là, nous analyserons dans une première parties les dessous de la prolifération des coups d’état au Niger, en mettant le point sur les faiblesses et manquements des gouvernements qui se sont succédés, leur rapport avec les relations internationales, pour ensuite dans une seconde partie nous évoquerons les conséquences pour le Niger et la région du sahel.

 

 

I- Les dessous de la prolifération des coups d’état au Niger

Pendant la guerre froide, et dans la période suivant les indépendances, les tentatives de coup d’État étaient fréquentes en Afrique.

Pour servir de comparaison, les quelques vingt dernières années ont été tranquilles. Entre 2011 et 2020, le continent a subi en moyenne moins d’un coup d’État réussi par an. Mais depuis lors, la stabilité relative a fait place à ce qui semble être une forte recrudescence des tentatives de putsch. Entre le 1er janvier 2020 et Juillet 2023, il y a eu treize (13) tentatives de coup d’État sur le continent. Parmi celles-ci, sept (07) ont conduit à un changement anticonstitutionnel de gouvernement pour le bénéfice des officiers militaires.

La tendance continue à susciter des inquiétudes auprès des organismes continentaux et régionaux. En Février 2022, elle a réussi à inciter la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à convoquer une conférence au sommet de toute urgence à Accra (Ghana) pour examiner cette question. Nana Akufo-Addo, chef de la CEDEAO et président du Ghana, a déclaré à cette conférence : « les coups d’État sont devenus contagieux »

Cette déclaration revêt un caractère prémonitoire puisqu’à la suite des évènements, le 26 Juillet 2023 c’est le Niger qui a fait son grand retour sur la scène internationale pour la huitième fois de son histoire, avec le renversement militaire du gouvernement du Président Mohamed Bazoum. Ce putsch intervient sans grande surprise puisque en 2021, lorsque le Président Mohamed Bazoum a été élu président, une première tentative a eu lieu environ 48 heures avant son investiture. Elle a échoué car la garde présidentielle avait réussi à repousser les putschistes. Cette tentative a révélé ainsi les profondes divisions qui existent dans le pays et que les dirigeants précédents n’ont pas réussi à véritablement régler.

En effet, cette montée en chiffre de coup d’état retranscrit la situation politique économique et social peu stable et dégradante qui prévaut au Niger. Si le phénomène remonte aux années d’après indépendance, plusieurs facteurs de nos jours demeurent des indicateurs sérieux sur le territoire nigérien.

Selon le juriste burkinabè Paz Hien, « la résurgence, des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest s’explique par le fait que “le terrain est fertile à cela. On se rend compte qu’il y a un certain nombre de problèmes, notamment la question sécuritaire qui a constitué le terreau pour ces coups d’Etat, car la plupart de ces Etats qui se sont rapprochés à un moment donné de l’Occident n’arrivent plus à garantir la sécurité à leurs populations ».

Selon le nigérien Moussa Aksar journaliste et directeur de publication du journal « l’Evènement » : « …il y a le problème sécuritaire dans toute la zone des trois frontières. On a vu l’afflux de réfugiés, des gens qui ont été chassés par les terroristes. Il y a aussi la gouvernance qui n’a pas changé, Bazoum a promis la lutte contre la corruption mais aujourd’hui les militants du PNDS, le parti présidentiel, qui ont posé des actes répréhensibles n’ont pas été inquiétés ».

Ainsi, il ne fait aucun doute que la montée de l’insécurité et la dégradation des perspectives économiques, la corruption et le sentiment d’impunité ont contribué à fragiliser le pays. Malgré l’augmentation de l’effectif des forces étrangères, en particulier des États-Unis, de la France et des bases militaires au Niger, les dirigeants n’ont pas été en mesure de mettre fin aux attaques des insurgés. Plusieurs groupes d’insurgés, tels que les affiliés d’Al-Qaïda et de l’État islamique, ainsi que Boko Haram, opèrent toujours dans le pays.

Ces attaques ont fait des milliers de morts et de déplacés au cours de la dernière décennie. Dans la capitale, Niamey, des centaines de jeunes se sont rassemblés pour célébrer le coup d’état de juillet (Mouvement M62), en brandissant des drapeaux russes et en scandant “Wagner”. Cela suggère que pour certains Nigériens l’armée, soutenue par la Russie et la société militaire privée, du groupe Wagner, serait plus efficace dans la lutte contre les insurgés.

Outre l’insécurité et la stagnation économique, un autre facteur permet d’expliquer le récent coup d’État. Il s’agit du débat sur l’ethnicité et la légitimité de Bazoum a été un enjeu lors de la dernière campagne électorale. Le Président Bazoum appartiendrait à la minorité ethnique arabe du Niger et a toujours été étiqueté comme ayant des origines étrangères.

Au cours des quatre dernières années, il y a eu sept coups d’État dans la région. Trois d’entre eux ont été couronnés de succès. Les dirigeants de la CEDEAO et de l’Union africaine ont menacé ces trois pays de sanctions, mais rien n’a été fait pour dissuader d’autres chefs militaires opportunistes.

C’est donc devant cette exaspération avérée d’une population en manque de services, qui au Niger décrit ouvertement la politique francafrique qui tend à perdre en influence, ainsi que toute politique occidentale, que les militaires en profitent pour renverser l’autorité en place, revenir au pouvoir et se légitimer.

Comment les sanctions extérieures contre ce cout d’état peuvent affecter le Niger et le reste du Sahel ?

 

II-les conséquences pour le Niger et la région du Sahel

L’histoire montre que, lorsqu’un coup d’État se produit dans un pays, il se reproduira plus facilement à l’avenir tant dans ce pays que dans les pays voisins. L’histoire du Soudan ou du Niger, du printemps arabe en sont respectivement des exemples utiles.

En effet, lorsqu’un coup d’état a lieu, il a tendance à créer des problèmes, plutôt que de les résoudre. Si les responsables militaires renversent un gouvernement civil, en particulier un gouvernement démocratiquement élu, il est probable que les chefs militaires seront considérés comme illégitimes par d’autres groupes. La non-justification de leurs actions pourrait faire courir le risque d’autres coups d’état. Le plus souvent, les soldats se présentent comme les sauveurs du pays, en accusant les régimes renversés de corruption, perfidie et autres méfaits.

En outre, les prises de pouvoir militaires s’accompagnent fréquemment de déclarations selon lesquelles la junte militaire sera temporaire. Les militaires décrivent leur nouveau régime comme intérimaire, assurant simplement la supervision du pays et le maintien de l’ordre jusqu’à ce qu’un régime civil soit finalement restauré grâce à de nouvelles élections. Des conseils militaires provisoires sont créés pour superviser la transition vers la démocratie, mais parfois cela ne se matérialise pas.

Par ailleurs chaque coup d’état perpétré à un cout. Elles peuvent affecter les relations économiques et diplomatiques et, dans certains cas, déclencher des cycles d’instabilité sociales qui se matérialisent aussi par l’augmentation du taux des immigrations.

C’est ainsi qu’à la suite du coup d’état du 26 Juillet, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est réuni d’urgence à Abuja au Nigéria le 30 Juillet 2023 pour exiger « la libération immédiate et le rétablissement” du président élu du Niger, Mohamed Bazoum, détenu par les militaires ». L’organisation régionale avait donné aux militaires nigériens un ultimatum d’une semaine pour s’y conformer et a averti qu’il prendrait toutes les mesures nécessaires, y compris la force, pour rétablir l’ordre constitutionnel.

Notons que la première base juridique de toute action de la CEDEAO est le traité révisé de 1993, notamment son article 3 qui énumère les objectifs fondamentaux de l’organisation. Il s’agit, entre autres, de promouvoir la coopération et l’intégration pour parvenir à une union économique en vue d’élever le niveau de vie des populations, harmoniser et coordonner les politiques nationales, programmes, projets et activités dans le domaine agricole, l’industrie, etc.

De là, face à l’inaction des militaires 04 Etats africains dont le Nigéria, le Bénin, le Sénégal et La Côte d’Ivoire se sont dit prêts à intervenir si la CEDEAO décidait d’envoyer des troupes sur le territoire nigérien en vue de rétablir le gouvernement déchu.

Depuis le 30 Juillet 2023, le Niger vit sous les sanctions économiques ouest-africaines. L’organisation sous-régionale avait décrété une série de 9 décisions. Des sanctions qui vont de la suspension des transactions financières et commerciales avec le Niger, au gel des avoirs du Niger dans les Banques centrales de la CEDEAO et dans les banques commerciales, la suspension de toute assistance et de transactions financières en faveur du Niger par la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC) et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), au gel des avoirs des militaires responsables du coup d’Etat, ainsi que l’interdiction de voyage des militaires et les membres de leurs familles et les civils acceptant de figurer dans toute institution ou tout gouvernement à mettre en place par ces officiers militaires. La CEDEAO a également annoncé la fermeture des frontières terrestres et aériennes avec le Niger.

A cela pourrait s’ajouter une isolation diplomatique plus accentuée du Niger qui pourrait perdre e droit de voter sur les questions économiques ou de les influencer, ce qui pourrait être crucial pour sa viabilité future. En outre, les pays pourraient perdre le droit d’accueillir des événements économiques, diplomatiques ou sportifs prestigieux qui attirent l’argent des touristes. Par exemple, le tournoi de football de la Coupe d’Afrique des nations, l’un des premiers événements sportifs du continent, a été relocalisé dans le sillage d’un coup d’État. La relocalisation d’un événement majeur à cause de l’insécurité peut perturber le tissu social d’une société et peut aussi heurter les commerces qui dépendent des revenus associés, ce qui nuit à l’économie nationale.

Pour le sahel, il apparait donc un clivage entre les Etats qui soutiennent le Niger, notamment le Burkina-Faso, le Mali, la Guinée et les opposants à ce mouvement. Ce clivage a des impacts directs, surtout sur les Etats qui partagent une frontière avec le Niger. C’est le cas du Nigéria, avec 1600 km, dont l’économie est frappée de plein fouet à cause de la fermeture ce ces frontières (près de Onze milliards de francs perdus chaque semaine). Ceci pousse à se demander si à force de sanctions, il ne se formerait pas une alliance des putschistes en Afrique de l’Ouest, et d’autres alliances entre ses Etats et tout autre Etat favorable à leur cause comme c’est le cas pour la Russie qui fait bloc pour le Niger contre tout attaque envisagé par la CEDEAO.

Toute cette situation si elle est mal gérée n’aboutirait qu’à exacerber les tensions et à favoriser la division au sein des Etats africains.

 

 

Conclusion

Le dernier coup d’état implique de graves conséquences pour le Niger et l’ensemble de la région du Sahel. Pour Bounty Diallo, chercheur en sciences sociales à l’Université Abdou Moumouni de Niamey, « cette résurgence de coups d’Etat au Niger s’explique par le manque de culture démocratique ». Face à cette situation plusieurs penseurs se posent la question de savoir comment arriver à éradiquer les putschs dans la région du Sahel et en Afrique de l’Ouest en général.

Si nous pouvons nous autoriser à rester optimiste sur la question des coups d’état en Afrique, ne s’agirait-il pas plus profondément du même jeu de pouvoir entre superpuissances des années de la guerre froide, sauf que cette fois, l’équilibre du pouvoir quant à la domination sur l’Afrique tend à basculer vers « le camp adverse ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

 

  • Sources écrites

 

  1. LES “COUPS D’ÉTAT” EN AFRIQUE DE 1960 À 2021

Typologie, causes, conséquences et pistes de sortie durable

Edition l’Harmattan, publié le 28 Février 2023

 

  1. COUPS D’ETAT : LÉGITIMATION ET DÉMOCRATIES EN AFRIQUE

De Siaka Coulibaly, publié en Septembre 2013

 

  1. Les COUPS D’ETAT SALVATEURS EN AFRIQUE

D’Arol KETCHIEMEN, publié le 23 Octobre 2019

 

  1. GUERRES CIVILES ET COUPS D’ETAT EN AFRIQUE DE L’OUEST

Comprendre les causes et identifier les solutions possibles

De Issaka K. Souaré, paru le 01 Mai 2007

 

  • Sources internet

https://www.aa.com.tr/fr/afrique/les-coups-detat-se-succ%C3%A8dent-en-afrique-de-louest-lhiver-africain-analyse/2495704

https://theconversation.com/quest-ce-qui-a-ete-a-lorigine-du-coup-detat-au-niger-un-expert-enumere-trois-facteurs-determinants-210749

https://adf-magazine.com/fr/2023/05/pourquoi-les-coups-detat-militaires-reapparaissent-ils-en-afrique/

https://www.institut-ega.org/l/la-cedeao-et-les-coups-d-etat-en-afrique-de-l-ouest-quel-cadre-juridique-pour-quelles-actions-preventives/

https://www.cath.ch/newsf/geneve-l-afrique-et-l-histoire-au-menu-de-la-session-du-coe/

https://www.dw.com/fr/pourquoi-tant-de-coups-detat-au-niger/a-66359276

https://www.bbc.com/afrique/region-66502800

https://www.bbc.com/afrique/region-66416837

 

 

 

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