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L’élargissement des BRICS, un atout pour la Chine

Par  TABOU Céline, spécialiste de la Chine, Rédactrice Chez IPSA.

Jamais un sommet du groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) n’aura été autant commenté et analysé par les médias du monde entier depuis sa première édition en 2009. A cette date, le  groupe des pays émergents n’avait pas encore inclus l’Afrique du sud, et était appelé BRIC. Quatorze-ans plus tard, le groupe BRICS a marqué un nouveau tournant dans son organisation, engageant avec lui un nouvel ordre géopolitique mettant en avant les puissances émergentes.

Dans son allocution d’ouverture du XVème Sommet des BRICS, (22-24 août 2023), le président sud-africain, hôte de l’évènement, Cyril Ramaphosa, a déclaré que « les BRICS incarnent la solidarité et le progrès. Les BRICS incarnent l’inclusion et un ordre plus juste et équitable. Les BRICS incarnent le développement durable ». Cette alliance vise également à trouver des alternatives aux institutions occidentales, dominées par les États-Unis, sans pour autant entrer en concurrence, avec eux.  D’ailleurs, les BRICS ont réaffirmé leur position de «non-alignée»[1] lors de ce 15ème sommet, à un moment où les divisions ont été accentuées par le conflit en Ukraine.

Face à la déferlante d’articles de presse en ligne, et d’analyses, de visioconférences, de reportages et de poadcasts, nous pourrions nous demander en quoi l’élargissement du groupe BRICS est un atout pour la Chine. En effet, Pékin a toujours souhaité construire des groupes d’influence diplomatique et économique afin de peser sur la scène internationale et de développer son économie, quitte à rattraper son retard vis-à-vis de certaines puissances occidentales. Cette stratégie s’est renforcée avec l’arrivée au pouvoir de  Xi Jinping, en 2012. Ce dernier a lancé les Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative-BRI), promouvant le multilatéralisme comme solution aux problèmes de l’humanité. A cela s’ajoute le renforcement de certaines organisations internationales, auxquelles font partie la Chine (OCS, ASEAN, APEC, G20, …) et les nombreux appels lancés à créer un destin commun en Asie et en Afrique, ainsi que les initiatives pour la sécurité mondiale, pour la civilisation mondiale et pour le développement mondial, et notamment la fondation d’une communauté de destin.

Tout d’abord, nous relaterons la construction du groupe BRIC puis BRICS, comment quatre pays émergents sont parvenus à créer leur propre espace sur la scène internationale en dépit de leurs divergences économique, politique et économique. Ce groupe était considéré comme éphémère par plusieurs analystes qui estimaient que cette coopération serait partielle, minée par divisions. Mais elle s’est consolidée au fil des années pour devenir un partenariat solide avec un destin commun. Après l’intégration de l’Afrique du Sud au sein du groupe, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine ont pu renforcer leur coopération avec le continent africain, les poussant à consolider les échanges entre pays émergents, et à lutter contre la domination des institutions financières occidentales et à l’omniprésence du dollar dans les échanges commerciaux. C’est ainsi que les BRICS ont créé leur propre banque afin d’apporter un soutien financier aux Etats membres et à l’ensemble des p ays émergents.

Ensuite, nous expliquerons pourquoi l’élargissement du groupe BRICS est une victoire pour le président chinois, Xi Jinping, qui en était le plus fervent défenseur. Après l’Afrique du Sud, ce sont six autres pays (Iran, Argentine, Egypte, Ethiopie, Arabie Saoudite et Émirats arabes unis) qui intègrent le groupe  BRICS afin d’entamer un nouveau chapitre, et va contre toutes les prédictions annonçant sa mort. Pour le président Xi Jinping, l’ouverture à d’autre Etats est un moyen pour les pays émergents de peser sur la scène internationale mais comme il l’a expliqué lors du Sommet de Hainan en 2017, les pays émergents sont « les principaux moteurs de la croissance mondiale », ils devraient « coopérer étroitement pour construire une économie mondiale ouverte ». Dès cette époque, la Chine plaidait pour la libéralisation des échanges et de se poser en défenseur de la mondialisation en opposition au programme « America First » du président américain Donald Trump et désormais au maintien de la stratégie américaine vis-à-vis de la Chine.

Fort d’avoir pu intégrer des pays arabes et africains, l’ouverture de ce groupe devrait continuer dans les années à venir, car près d’une quarantaine de pays ont demandé leur adhésion ou manifesté leur intérêt vis-à-vis de ce groupe hétéroclite, signe de l’influence grandissante des pays émergents sur la scène mondiale.

1.     LES BRIC SONT DEVENUS LES BRICS, PUIS LES BRICS PLUS

 

Tout a commencé avec les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), un acronyme utilisé pour la première fois en 2001 par Jim O’Neil, un économiste de Goldman  Sachs, qui a récemment expliqué que « lorsque j’ai inventé l’acronyme BRIC en 2001, mon argument principal était que la gouvernance mondiale devait s’adapter pour intégrer les plus grandes économies émergentes du monde. Non seulement le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine sont en tête de liste de cette cohorte, ils étaient également collectivement responsables de gouverner près de la moitié de la population mondiale. Il va de soi qu’ils devraient être représentés en conséquence ».

Huit ans après la création de cet acronyme, le premier sommet des BRIC a lieu le 16 juin 2009 dans l’Oural, à Ekaterinbourg, la troisième ville de Russie. L’objectif de ce premier sommet était de « parler d’une seule voix face aux pays industrialisés » et de « peser plus dans la gouvernance mondiale ».

Dès cette époque, les dirigeants brésilien, russe, indien et chinois avaient la volonté de devenir un contrepoids au G7[2], dont le sommet se déroulait un mois plus tard en Italie. D’ailleurs, le ministre brésilien des Affaires étrangères, Celso Amorim, avait déclaré que « le G7 est mort. Il ne représente plus rien. Je ne sais pas comment sera l’enterrement, parce que parfois un enterrement c’est trop long ». Preuve de la volonté des pays émergents d’apporter leurs voix et leurs problèmes sur la scène internationale et de rompre leur dépendance avec les Occidentaux, et particulièrement les Etats-Unis.

2010, INTEGRATION DE L’AFRIQUE DU SUD

 

Le 14 avril 2011 a lieu le IIIème sommet des BRICS à Sanya (Hainan), en Chine. Il marque l’adhésion officielle de l’Afrique du Sud. Lors de la réunion du G20 de 2009, à Séoul, le gouvernement sud-africain avait demandé à être admis au BRIC. L’intégration de l’Afrique du sud sera par la suite faite en 2010 sur proposition de la Chine : « La Chine, qui assure la présidence tournante du groupe BRIC, et conformément à un accord des Etats membres, invite l’Afrique du Sud à devenir membre à part entière de ce groupe qui s’appellera à l’avenir les BRICS », avait déclaré la ministre sud-africaine des Affaires étrangères Maite Nkoana-Mashabane, le 27 décembre 2010. Dans le même temps, le président chinois, Hu Jintao, avait envoyé une lettre d’invitation lors du IIIème Sommet BRICS de 2011 en Chine.

Raphaël Porteilla, maître de conférences en Science politique à l’Université de Bourgogne et membre du Centre de Recherche en Droit et Science Politique, explique que l’intégration de l’Afrique du sud est une réussite diplomatique pour le pays car elle « conforte surtout son statut international de puissance émergente moyenne africaine », et représente un « renouveau dans la coopération sud-sud ».

Conscient des différences avec ses nouveaux partenaires, l’Afrique du sud considère ce groupe BRIC comme « un espace d’échanges et de discussions susceptible de s’affirmer comme tel, de contester l’ordre international établi et de formuler des propositions alternatives fondées sur le respect de ces valeurs ». Pretoria souhaite ainsi devenir la boussole des BRIC pour des sujets variés, tels que « la promotion des droits humains et de la démocratie, la promotion d’un monde en paix et le développement du continent africain, des engagements anti-impérialistes, anticolonialistes et anti-néocolonialistes en matière de relations internationales ». Il s’agit également d’un moyen pour ce pays de participer et d’organiser des échanges internationaux sur des thématiques propres à l’Afrique et ayant attrait à son développement. Pretoria voulait alors instaurer de nouveaux équilibres dans les relations internationales, particulièrement envers les pays occidentaux, car les pays africains peinent à faire entendre leurs positions auprès des Occidentaux, car ils sont très souvent marginalisés ou dénigrés. C’est pourquoi de nombreuses voix parlent du renouveau de l’esprit du Bandung[3] et du mouvement des « non-aligné ».

Cette intégration revêt un caractère national particulier car l’Afrique du sud compte sur ses nouveaux alliés pour pouvoir développer son économie qui est officiellement entrée en récession en 2009. La même année, le président Jacob Zuma, a lancé un Nouveau Plan de Croissance, doté d’un fonds de 2,4 milliards de rands (210 millions d’euros) pour permettre de payer des formations à des employés menacés de licenciement et de créer 5 millions de postes d’ici 2020 afin de ramener le taux de chômage en dessous des 15%. Ce dernier voyait dans les BRIC une opportunité de pouvoir attirer les investissements et les prêts mais également d’exporter ses richesses.

Un aspect idéologique explique les besoins de Pretoria d’intégrer les BRIC : la lutte anti-impérialiste qui est « un enjeu contemporain important dans un monde dominé par les pays industrialisés et par une superpuissance hégémonique faisant du continent africain le terrain de jeu des intérêts occidentaux », selon Raphaël Porteilla.

Toutefois, ce front anti-impérialiste s’est transformé en un front anti-occident. En effet, à chaque sommet, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud réaffirment leurs positions communes et consolident leur autonomie politique face à l’Occident. Cependant, les BRICS ne sont pas « une coalition antioccidentale » car ils conservent des attaches financières avec le FMI et la Banque Mondiale et des accords de coopération avec de nombreux pays développés.

L’atout de l’Afrique du sud est sa position géostratégique en Afrique. Le pays est une porte d’entrée vers l’Afrique subsaharienne qui représentait à l’époque « un marché potentiel d’environ un milliard de personnes d’ici 2040 ». Or le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine comptaient profiter de cette ouverture pour devenir des partenaires commerciaux privilégiés au sein du continent africain.

Toutefois, l’inclusion de l’Afrique du sud au sein des BRICS a suscité des doutes car son économie était beaucoup moins robuste que celle de ses nouveaux alliés. Ainsi, la première économie du continent africain avait un Produit Intérieur Brut (PIB) représentant qu’un quart du PIB de l’Inde. De plus, avec 49 millions d’habitants, son poids démographique était inférieur face aux 191 millions de Brésiliens ou au milliard 360 millions de Chinois.

D’ailleurs, Raphaël Porteilla a estimé que l’adhésion de Pretoria laisse craindre « la constitution d’un forum certes multilatéral mais à tendance oligarchique ou, dit autrement, une forme de mini-latéralisme réservé aux plus puissants des pays émergents ». Une dizaine d’années plus tard, cet argument apparaît peu convainquant car les BRICS ont profité de leur plateforme pour renforcer leur coopération multilatérale. Ils sont également parvenus à créer de nouveaux partenariats avec des pays qu’ils n’auraient jamais pu atteindre sans le groupe BRICS.

Ainsi, le Brésil a accentué dès 2011 ses échanges avec l’Afrique du sud et ses voisins dans le secteur de l’agriculture et du développement rural, dans une vision géopolitique plus large. Selon une note du 13 décembre 2011 de la Banque mondiale, les revenus provenant des échanges commerciaux entre le Brésil et l’Afrique subsaharienne se chiffrent à eux seuls à plus de 20 milliards de dollars et continuent d’augmenter. De plus, en 2010, l’Afrique subsaharienne a constitué la première destination des investissements brésiliens dans des projets de développement international, soit 57,2%, contre 37,4% avec l’Amérique latine.

SOMMET DE FORTALEZA (2014), UNE NOUVELLE ARCHITECTURE FINANCIERE

 

Réunis pour leur VIème sommet annuel, les cinq grands pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont tenu sommet extraordinaire à Fortaleza, une ville du Nord-est brésilien. A cette occasion, les BRICS ont de nouveau défié l’hégémonie occidentale, en s’affranchissant de la tutelle du dollar et des institutions de Bretton Woods mises en place après la Seconde Guerre Mondiale (Fonds monétaire international et Banque mondiale).

Annoncée au printemps 2013, la création de cette banque commune des BRICS et d’un Fonds de réserve aura été assez rapide, en dépit des divergences existantes entre la Chine et l’Inde comme le lieu du siège social de la NBD.

Les cinq dirigeants ont ainsi créé leur propre système financier international, sorte de contrepoids à la Banque Mondiale (BM) et au Fonds monétaire International (FMI). « Nous avons pris la décision historique de créer la banque des BRICS et un accord de réserves, c’est une contribution importante pour la reconfiguration de la gouvernance économique mondiale », a annoncé la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, hôte de ce 6ème sommet.

Cette BRICS Bank – ou Nouvelle Banque de Développement[4] (NBD) – est une banque de développement, dont le siège, à Shanghai, accorde à ses membres ou à d’autres pays émergents des prêts pour leurs grands travaux d’infrastructures. Les BRICS ont signé un « accord-cadre » instaurant une réserve de change commune afin de stabiliser les taux de change et de pouvoir commercer efficacement. Doté de 100 milliards de dollars, dont 41 milliards versés par la Chine, 18 milliards par l’Inde, le Brésil et la Russie, et 5 milliards par l’Afrique du Sud, ce fonds est opérationnel depuis 2015.

Cette structure vise à « promouvoir une plus grande coopération » au sein des BRICS et à « renforcer la sécurité financière globale » dans des économies émergentes, encore fragiles et nécessitant des investissements massifs. L’établissement de cette nouvelle banque est surtout une avancée importante pour donner aux BRICS une colonne vertébrale palliant à certaines pratiques, très critiquées, du FMI et de la Banque mondiale. « La démarche des Brics est cohérente pour contester l’hégémonie des pays développés d’autant que la réforme du FMI n’avance pas », a indiqué Olivier de Boysson, de la Société générale.

En effet, ces deux institutions accordent des prêts sous conditions de réformes macroéconomiques et sectorielles, parfois difficile à mettre en place par les gouvernements émergents. De plus, le fonctionnement censitaire de ces institutions donne aux Etats-Unis un rôle prépondérant car plus un Etat membre cotise, plus il a de droits de vote. Washington possède donc un droit de veto. De fait, comme l’a expliqué Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface, « ces pays cherchent à créer un système alternatif aux institutions dominées par les nations occidentales, Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale ». D’autant plus qu’à cette époque, les «Cinq» subissaient en effet un ralentissement de leurs économies, en raison des handicaps structurels. Ces mécanismes représentent donc « une clé pour relancer la croissance des BRICS », selon Mauro Borges, le ministre brésilien du Commerce et de l’Industrie. En 2013, la Réserve fédérale américaine avait annoncé mettre fin à une politique moins accommodante sur les marchés financiers ébranlant les BRICS, hormis la Chine mise à part. Pékin est d’ailleurs le plus important contributeur de ce fonds. De fait, l’instauration de la Banque commune et du Fonds seront des moyens pour les BRICS, et plus largement certains pays émergents, pour commercer sans avoir à répondre aux conditions économiques et structurelles imposées  par les institutions internationales, ni les obligations politiques parmi lesquels les droits de l’homme, les critères environnementaux, …

2.      2023, un tournant pour le groupe des BRICS

 

Le XVème sommet des BRICS s’est ouvert à Johannesburg, en Afrique du Sud, avec comme axes : l’élargissement du bloc avec l’adhésion de nouveaux membres et l’élaboration d’une feuille de route économique, commerciale et financière. Le président chinois, Xi Jinping, a indiqué qu’il s’agit d’une étape importante dans le développement du mécanisme du groupe et contribuant à porter l’unité et la coopération des pays en développement à un niveau plus élevé.

LA FIN DU DOLLAR ?

 

Dès la mise en place des sommets des BRICS, la question de la dédollarisation des échanges entre chaque pays membres s’est posée. En effet, la Russie, sous le coup de sanctions internationales après l’annexion de la Crimée, prône pour des échanges commerciaux en monnaie nationale. Pour Moscou, « la banque de développement et le fonds doivent être des outils de lutte contre la domination du dollar, quand le Brésil ou l’Inde y voient l’opportunité de développer les infrastructures dont ils ont cruellement besoin », a expliqué Christopher Dembik, analyste chez Saxo Banque. Il s’agit donc d’un moyen de s’affranchir de la tutelle du dollar. Cette volonté de dédollarisation a particulièrement fait débats ses derniers mois, car le yuan (monnaie chinoise) est désormais utilisé comme monnaie d’échange avec la Russie, le Brésil, l’Iran, l’Inde et l’Afrique du sud.

Pour Camille Macaire, chercheuse associée au CEPII et co-autrice de l’ouvrage ‘’La Course à la suprématie monétaire mondiale’’, « nous assistons en tout cas à une conjonction d’éléments qui ravivent le débat sur le risque d’une fragmentation du système monétaire international. D’un côté, la Chine veut se présenter comme la tête de file des BRICS en mettant sur la table les risques liés à une dépendance au dollar, une attitude qui rencontre un écho favorable dans le monde émergent. L’utilisation du dollar comme arme économique, à travers les sanctions, a été un élément déclencheur. De l’autre, la part du dollar dans les réserves de change a commencé à s’affaiblir progressivement depuis le milieu des années 2010, même si elle reste majoritaire (59% du total) ».

Cette dernière a expliqué que « l’unique réelle monnaie de réserve non occidentale, c’est le yuan. Or, cette devise a de nombreux inconvénients, principalement du fait des contrôles de capitaux qui la rendent difficile d’accès. Elle ne représente aujourd’hui que 2,6% des réserves mondiales. (…) De plus, un élément clé d’une devise de réserve est la solidité financière du pays qui émet cette devise. Or, comme on le voit en ce moment avec les secousses immobilières, il existe en Chine d’importants risques financiers et vulnérabilités macroéconomiques. Enfin, Pékin a un modèle économique qui repose sur le contrôle, notamment de sa devise. Mais si elle peut le faire, c’est paradoxalement parce qu’elle dispose d’immenses réserves de change en dollar… Il existe donc une sorte de complémentarité entre les deux monnaies ».

De ce fait, il apparait peu probable pour le moment que le dollar prenne fin dans les échanges, au profit du yuan, ou peut-être d’une monnaie commune au BRICS, comme suggéré par certains dirigeants russes et brésiliens. Une monnaie commune permettrait d’échapper aux potentielles sanctions américaines et d’afficher une unité au sein de ce groupe, qui représente le quart du PIB mondial et 42% de la population du globe.

Agathe Demarais, spécialiste de géopolitique et autrice du livre “Backfire” basé sur les effets des sanctions économiques, une monnaie commune des BRICS est un concept plus politique et idéologique qu’économique. « Pour l’instant, nous en sommes aux grandes déclarations politiques. À mon sens, une monnaie des BRICS n’a aucun sens. Si vous voulez une économie monétaire unifiée, vous devez avoir des situations fiscales et économiques à peu près identiques, or les BRICS sont totalement différents ». Les économies du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du sud ont des différences économiques, commerciales et fiscales mais aussi politiques.

Une monnaie commune ne sera pas possible car les BRICS composent un groupe « très hétérogène » avec des dissensions fortes au sein de ce bloc, notamment entre la Chine et l’Inde, par exemple. Il apparaît donc difficile d’imaginer une architecture harmonieuse entre la Chine et la Russie, en conflit avec les Etats-Unis et certains de ses alliés ; le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, ayant des rapports des relations commerciales moins tendues avec l’Occident.

D’ailleurs, la Chine, du fait de son statut de poids lourd mondial, serait aux manettes de la monnaie commune bien que son système monétaire reste profondément verrouillé. La Chine possède une position asymétrique du point de vue de ses dimensions et de sa capacité technologique, mais aussi dans une dynamique déséquilibrante pour les autres, qui ne peuvent pas forcément suivre son développement. C’est donc la Chine qui devrait porter la majeure partie des coûts d’ajustement et de coordination de cette monnaie commune. L’instauration d’une monnaie commune serait un poids financier très lourd pour la Chine, qui traverse une conjoncture économique difficile.

La particularité de cette monnaie serait donc plus symbolique que financière car la Chine veut rompre la dépendance au dollar. Pour certains, il s’agit d’une utopie mais les Chinois ont montré à de très nombreuses reprises leurs capacités à surprendre et notamment à unir et à convaincre ses partenaires. Preuve en est la Nouvelle Banque de Développement qui fait partie de la stratégie chinoise d’établir des banques multilatérales de développement afin de s’affranchir des institutions internationales.

De plus, la Chine est également le premier bailleur international de manière bilatérale dans plusieurs parties du monde. De plus, elle a accru son influence dans le commerce international auprès des pays émergents, bien qu’ils utilisent en grande partie le dollar.

LA CHINE PRONE LE MULTILATERALISME

 

En juin 2023, Wang Yi, directeur du Bureau de la Commission des affaires étrangères du Comité central du PCC, avait déclaré que « la coopération des BRICS est la plate-forme la plus importante pour la solidarité et la coopération entre les pays en développement et le mécanisme central représentant les pays du Sud ».

Deux mois plus tard, les BRICS ont approuvé l’intégration de six nouveaux pays (Arabie saoudite, Argentine, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie et Iran), correspondant dorénavant à 46% de la population mondiale et un tiers du PIB du globe.

Cet élargissement agrandit la zone d’influence économique des BRICS. Les pays membres pourront compter sur les investissements de deux producteurs de pétrole du Moyen-Orient (Arabie saoudite et Emirats Arabes Unis), sur les marchés des deux plus grands pays d’Amérique Latine (Argentine et Brésil) et ceux des mastodontes asiatiques (Chine et Inde), mais aussi sur la consolidation de sa présence sur le continent africain, avec l’Ethiopie et l’Egypte. Les pays membres profiteront d’une plus grande coopération financière, notamment la Chine.

L’arrivée de ces six nouveaux membres au sein des BRICS constitue une victoire diplomatique pour la Chine. Selon l’ambassadeur honoraire belge, Raoul Delcorde, « cet élargissement constitue une victoire de la Chine sur l’Inde et le Brésil, qui redoutaient qu’un élargissement ne signifie pas une réduction de leur influence au sein des BRICS ». « Si la Chine est parvenue à faire le forcing, c’est parce qu’elle assure à elle seule 70% du PIB global des BRICS», a assuré ce dernier.

Pour le président chinois Xi Jinping, le groupe BRICS est « une plateforme ouverte et inclusive pour attirer de nouveaux membres et mettre en commun de nouvelles forces, ce qui répond aux besoins pratiques du développement des BRICS et sert les intérêts communs de tous les pays membres. L’élargissement des BRICS s’est faite naturellement et est impérative ».

Ce multilatéralisme permet surtout à la Chine d’accéder à des marchés auparavant plus mitigés à son égard. Ainsi, le commerce extérieur de la Chine avec les autres pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud) a grimpé de 19,1% en glissement annuel pour atteindre les 2 380 milliards de yuans (326,85 milliards de dollars) durant les sept premiers mois de 2023, selon les données de l’Administration générale des douanes.

Avec six nouveaux Etats, le commerce extérieur de la Chine devrait plus que doubler. D’ailleurs, en mars 2023, Acorn Macro Consulting, une institution britannique de recherche économique sur l’économie, a révélé qu’en 2022, la proportion des pays BRICS dans l’économie mondiale totale dépassait celle du G7. Le Fonds Monétaire International prévoit que le taux de contribution des pays BRICS à l’économie mondiale sera proche de 40% dans les cinq prochaines années, un taux qui va rapidement croître avec les nouveaux venus.

D’ailleurs, Anil Sooklal, le coordinateur des affaires des BRICS en Afrique du Sud, a annoncé début août que plus de 40 pays ont exprimé leur désir de rejoindre le mécanisme de coopération BRICS, et plus de 20 d’entre eux ont officiellement demandé à y adhérer. La venue de nouveaux partenaires permettra à la Chine de consolider sa stature diplomatique et de trouver des alternatives économique et commerciale aux pays occidentaux.

De plus, les rapports entre les dirigeants des BRICS est en train de se renforcer. Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, en visite en Chine en avril 2023, s’est dit prêt à augmenter ses échanges avec la Chine et à les réaliser en yuans. Même son de cloche pour l’Afrique du sud, les deux pays vont élargir de champ de leur coopération et de « porter le partenariat stratégique global Chine-Afrique à un niveau plus élevé ». La Chine a renforcé ses relations avec la Russie, notamment dans les secteurs gaziers et pétroliers, et tente d’apaiser les tensions avec l’Inde, où les différents territoriaux restent vifs.

Concernant les nouveaux venus, l’Iran, l’Arabie Saoudite, et les Emirats Arabes Unis. Ces derniers possèdent une position géostratégique cruciale concernant l’approvisionnement énergétique du monde. La participation de la Chine dans la région et la présence symbolique de Xi Jinping, au Sommet des six pays du Conseil de Coopération du Golfe (l’Arabie Saoudite, le Koweït, les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn, le Qatar et Oman) a ouvert la voie au règlement en yuans des importations chinoises de pétrole et du gaz. Ainsi, les liens économiques fort des Etats du Golfe dans les BRICS est une victoire pour la Chine, qui est devenue un partenaire privilégié.

CONCLUSION

 

Pays émergents, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud souhaitent se faire entendre des instances internationales et pouvoir développer leurs propres institutions afin de sortir de la dépendance au dollar, de réduire l’influence des Etats-Unis et de s’abroger des règles strictes du FMI et de la Banque Mondiale.

Forts de leur croissance, les BRICS ont réussi au fil des années à renforcer leurs coopérations bilatérale et multilatérale. Ce groupe de « non alignés » est désireux désormais de construire une nouvelle façon de satisfaire certains de leurs besoins économiques ou sécuritaires.

De son côté, la Chine, poids lourd qui pèse environ 70% du PIB du groupe, souhaite surtout gagner en influence sur la scène internationale, notamment  dans les pays du Golfe et en Amériques latine, et renforcer les échanges avec le continent africain. Cela explique pourquoi « les BRICS doivent œuvrer en faveur du multilatéralisme et ne pas créer de petits blocs. Nous devons intégrer davantage de pays dans la famille des BRICS », a déclaré le président Xi Jinping.

Le président chinois accuse depuis plusieurs années les Occidentaux de décider de l’avenir du monde sans prendre en compte les pays émergents qui représentent plus de la moitié de la population mondiale. Ce dernier a promu le multilatéralisme, au moment où l’ancien président américain, Donald Trump, prônait sa politique « America First », au détriment des alliances économiques et commerciales passées.  Cette politique est d’ailleurs préservée par l’actuel président américain, Joe Biden.

De ce fait, cet élargissement s’avère être un atout considérable pour la Chine, qui pourra désormais se pencher sur cette nouvelle alliance stratégique afin d’être un contrepoids au G7/G20 Occidental. Au-delà de l’influence diplomatique grandissante des BRICS et particulièrement de la Chine, l’intégration de nouveaux membres est un moyen de revendiquer plus ardemment un équilibre mondial plus inclusif, notamment au regard de l’influence des États-Unis et de l’Union Européenne.

De fait,  « cet élargissement du nombre de membres est historique. Il montre la détermination des pays BRICS envers l’unité et la coopération avec les pays en développement au sens large. Il satisfait (…) aux intérêts communs des pays à économie émergente et aux pays en développement. L’élargissement constitue également un nouveau point de départ pour la coopération des BRICS. Il apportera une nouvelle vigueur au mécanisme de coopération des BRICS et renforcera encore davantage la paix et le développement du monde », a assuré Xi Jinping, lors du XVème Sommet des BRICS, en août 2023.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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[1] Non-alignement : Politique de neutralité vis-à-vis des deux blocs antagonistes, occidental ou communiste, observée pendant la guerre froide par certains États du tiers-monde. (Larousse)

[2] Groupe des sept pays les plus industrialisés (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni)

[3] Conférence de Bandung (ou conférence de Bandoeng) s’est tenue du 18 au 24 avril 1955 à Bandung, en Indonésie,  L’esprit de la Conférence Asie-Afrique, également connu sous le nom de la Conférence de Bandung, était un désir commun des pays en développement de faire des progrès collectifs, et cet esprit est toujours nécessaire pour la paix et la prospérité au niveau régional et mondial, a indiqué un analyste pakistanais. http://french.xinhuanet.com/alaune/2015-04/19/c_134163490.htm

[4] « La Nouvelle Banque de Développement finance des projets et innove avec des solutions sur mesure pour aider à construire un avenir plus inclusif, résilient et durable pour la planète ». https://www.ndb.int/

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