IPSA AFRIQUE

L’Arabie Saoudite et l’Iran, un conflit en phase terminal?

Par  TABOU Céline

A la surprise générale, le 10 mars 2023, l’Arabie Saoudite et l’Iran annoncent vouloir rétablir leurs relations diplomatiques dans les deux mois à venir, après plusieurs sessions de négociations secrètement menées par la Chine.

La guerre froide entre l’Iran et l’Arabie Saoudite a partagé le Moyen Orient en deux camps distincts depuis des années. Chacun des deux pays, qui entendent asseoir son influence régionale, soutient régulièrement des camps adverses dans les conflits du Moyen-Orient.

Dans un précédent article, publié sur IPSA, nous avions montré « Les alternatives pétrolières et gazières de l’Arabie Saoudite », et notamment expliqué pourquoi le Royaume a désormais besoin de diversifier ses alliances et de trouver des partenaires dans la région.

Depuis 1979, l’Iran et l’Arabie Saoudite sont en conflit pour assurer leur leadership religieux dans la région. L’Iran chiite peut compter sur ses alliés traditionnels que sont la Palestine, l’Irak (après huit ans de guerre), le Hezbollah du Liban, le Yémen et la Syrie depuis peu, tandis que l’Arabie saoudite sunnite a parmi ses soutiens les Emirats Arabes Unis, l’Egypte, le Bahreïn, plus ou moins le Qatar et Israël. Le but pour eux est d’apparaître comme la figure de proue du monde arabe.

Alors que l’ordre mondial est en train de basculer du Nord vers le Sud, avec en tête la Chine et la Russie, ainsi que leurs alliés venant d’Afrique, d’Amérique latine et désormais du Moyen Orient, les pays arabes constatent qu’ils ne peuvent plus rester en marge de la scène internationale. Il s’agit surtout pour eux de trouver des partenaires économiques et commerciaux, dans un climat économique mondial morose. A cela s’ajoute l’impact du changement climatique dans le monde nécessitant de la part de ces pays pétroliers une nouvelle politique énergétique, qui ne remettrait pas en question leur développement économique et social.

Pourtant à la lecture d’articles de presse et d’analyse d’experts tels Sébastien Boussois, Clément Therme, Muhammad Hussein ou encore Stéphane Lacroix, nous avons pu constater que les rapports entre l’Iran et l’Arabie saoudite sont belliqueux dans un contexte bilatéral et régional. Si bien que les alliances au Moyen Orient se font et se défont aux cours des vingt dernières décennies, avec comme axes Riyad ou Téhéran. Nous nous sommes alors demandé comment cette confrontation entre l’Iran et l’Arabie saoudite a émergé puis évolué.

Pour cela, dans une première partie, nous retraçons le conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite depuis 1979, comment les deux pays se sont affrontés directement ou via un soutien militaire et financier à des camps opposés dans les pays de la région, tels que le Yémen, la Syrie et le Qatar.

Par la suite, nous allons montrer qu’en dépit des tensions, les deux pays ont fait un pas l’un envers l’autre afin de renouer leur relation diplomatique et d’assurer une désescalade des tensions dans le monde arabe.

En effet, le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran laisse présager un début de fin des conflits armés mais il a également engagé une reconfiguration des alliances du Moyen Orient. « Le monde arabe devait jouer un rôle de premier plan dans les efforts visant à mettre fin au conflit en cours en Syrie. Cela a non seulement mis en évidence les tentatives de moins compter sur les hégémonies étrangères pour les positions de politique régionale, mais a également rappelé le fait très évident que le Moyen-Orient a depuis longtemps un énorme fossé où l’ordre régional devrait s’asseoir, qu’il soit idéologique ou structurel », selon Muhammad Hussein, diplômé en politique internationale et analyste politique sur les affaires du Moyen-Orient.

1.   Une longue guerre froide

 

« Depuis 1932, date de la création de l’Arabie saoudite par Abdelaziz ibn Saoud, les relations entre les deux pays (Iran et Arabie saoudite, ndr) ont toujours été de nature complexe et sensible, en particulier après la révolution islamique de 1979 en Iran », selon Farid Vahid, co-directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean Jaurès.

En effet, la révolution islamique iranienne de 1979 a transformé la région du Moyen-Orient, car l’Iran se déclare « pays non aligné[1] », et s’oppose à la domination américaine et à la domination soviétique, très présents en Arabie saoudite. La République islamique d’Iran lance alors son concept d’« axe de la résistance », composé de la Syrie, du Hezbollah libanais et du Djihad islamique et du Hamas palestinien.

Craignant l’instauration d’une théocratie radicale chiite, plusieurs Etats voisins arabes sunnites, dont l’Arabie Saoudite et l’Irak voient d’un mauvais œil l’influence grandissante des chiites dans la région.

L’Arabie saoudite, qui abrite à l’époque entre 10 et 15% de chiites sur sol, redoute que cette population s’engage dans un mouvement indépendantiste, avec comme objectif de rattacher certains territoires chiites saoudiens, notamment dans la région stratégique d’Al-Hassa qui concentre l’essentiel des champs pétrolifères du royaume, à l’Iran.

Les autorités saoudiennes décident alors d’agir avec force pour réduire l’influence chiite sur son territoire. Cependant, l’Irak va prendre les devants en attaquant l’Iran en 1980. L’opération militaire du président irakien, Saddam Hussein, est soutenue financièrement et militairement par les autres pays arabes, puis par les États-Unis et les pays occidentaux. Le but pour les Irakiens est de détruire la révolution naissante des chiites, et le fameux « croissant chiite » établi à la suite de révolution iranienne de 1979, qui pourrait trouver écho au Bahreïn, en Iran, et entre autre en Arabie saoudite.

Cette invasion irakienne marque le début de la Guerre Iran-Irak (22 septembre 1980- 20 août 1988) au cours de laquelle, l’Arabie saoudite soutient le régime de Saddam Hussein. Il  s’agit pour Ryad et Bagdad d’une réponse aux disciples de l’ayatollah Khomeini qui « en appellent ‘les masses musulmanes’ à renverser les monarchies du Golfe ‘vassales de l’Amérique’ », selon Clément Therme. Dans le même temps, « l’Arabie saoudite soutient le régime de Saddam Hussein pendant toute la durée de la Première Guerre du golfe (1980-1988) », afin de contrer les chiites iraniens.

Entre le 20 novembre et le 4 décembre 1979, une prise d’otages spectaculaire par des fondamentalistes islamistes et opposants à la famille royale saoudienne a lieu à la mosquée Al-Masjid al-Harâm, à La Mecque (Arabie saoudite). Juhayman ibn Muhammad ibn Saif al-Otaibi, caporal retraité de la Garde nationale saoudienne, qui appartient à une puissante famille sunnite du Najd, mène cette prise d’otages. Il dénonce la dynastie des Al Saoud[2], estimant qu’elle a perdu sa légitimité, car elle est corrompue, vit dans le luxe et a détruit la culture saoudienne par sa politique d’ouverture à l’Occident. L’Arabie saoudite accuse alors l’Iran d’avoir fomenté cette attaque dans sa stratégie d’exporter sa révolution et parce que Téhéran veut prendre la prééminence du monde musulman. En retour, l’Iran accuse l’Arabie saoudite d’avoir aidé l’Irak en soutenant financièrement le pays durant la Guerre Iran-Irak.

Craignant une exportation de la révolution islamique, le Conseil de Coopération du Golfe est fondé en 1981, autour des pétromonarchies de la péninsule arabique.

En juin 1984, l’aviation iranienne attaque dans le Golfe persique des tankers saoudiens, amenant Riyad à définir une zone d’interdiction aérienne au-delà de ses eaux territoriales. Cette mesure n’empêche pas de nouvelles attaques de tankers et des accrochages entre les armés de l’air d’Iran et d’Arabie saoudite, d’après François Nicoullaud, diplomate et analyste politique français.

Le Roi saoudien Fahd ben Abdelaziz Al Saoud a décidé d’augmenter la production pétrolière du pays, poussée par les Etats-Unis afin de contrer l’Iran et l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques). L’opération est un succès, mais la Guerre Iran-Irak prendra fin trois ans plus tard, en raison d’un « épuisement mutuel des belligérants, et un repli de chacun sur sa frontière ».

Par la suite, les tensions persistent. Les lieux de pèlerinage sont le théâtre de sérieux incidents :

  • en 1981, les pèlerins iraniens lancent des slogans hostiles aux États-Unis, à Israël, des heurts éclatent avec la police ;
  • en 1986, la police découvre des explosifs dans les bagages de pèlerins iraniens ;
  • en 1987, nouvelle manifestation à la Mecque de pèlerins qui brandissent des portraits de l’Ayatollah Khomeyni ; il s’ensuit une bousculade, et des tirs de la police font plusieurs centaines de morts[3]. Téhéran accuse Ryad d’être responsable de la mort de centaines de personnes. Des manifestations se déroulent devant l’ambassade saoudienne à Téhéran.
  • en avril 1988, Ryad décide la rupture des relations diplomatiques, celle-ci durera trois ans.

En juin 1989, l’ayatollah Khomeini meurt, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani sera élu président de la République iranienne. Modéré et muni d’un programme d’ouverture et de réformes, ce dernier va tenter d’apaiser « la confrontation idéologique et géopolitique entre la République islamique et la monarchie wahhabite ».

En 1997, la participation du prince héritier saoudien Abdallah au VIIIème sommet de l’Organisation de la conférence islamique à Téhéran  marque un tournant dans les relations bilatérales, notamment après la première visite depuis la révolution de 1979 du président iranien, l’ayatollah Rafsandjani, en 1996 à Riyad.

Ce rapprochement entre Téhéran et Riyad, qui revendiquent chacun le leadership du monde musulman, a demandé de longues et difficiles négociations. Mais l’apaisement se confirme car en février 1998, l’ancien président Rafsandjani se rend au Bahreïn et en Arabie saoudite. Enfin, en 1999, le nouveau président iranien, Mohammad Khatami, se rend à son tour en Arabie saoudite. « Cette stratégie d’ouverture de l’Iran, initiée par Rafsandjani et poursuivie par Khatami s’explique aussi par la volonté de l’Iran de sortir de l’isolement diplomatique et par l’ambition de Washington d’instrumentaliser ses relations avec les pétromonarchies du Golfe afin de ‘contenir’ l’Iran ».

Cependant, le contexte régional va rattraper les deux pays : le 11 septembre 2001 va entraîner des interventions américaines en Afghanistan et en Irak, et la communauté internationale va pointer du doigt  le nucléaire iranien ; puis viennent les Printemps arabes. Cette situation géopolitique exacerbe les tensions entre les pays arabes. En Arabie saoudite, le Royaume accuse d’arrogance, de subversion, et de terrorisme le gouvernement iranien. En Iran, les autorités reprochent à Riyad le soutien à Saddam Hussein, la soumission aux États-Unis, la complaisance à l’égard d’Israël, l’aide à l’oppression de la dynastie sunnite de Bahreïn sur sa communauté chiite, puis la gestion calamiteuse des lieux saints et la discrimination à l’égard des pèlerins chiites.

L’Iran dénonce la politique massive de diffusion du wahhabisme[4] de l’Arabie saoudite auprès du monde musulman. Les effets de cette politique saoudienne se fait sentir à compter des années 1990 aux frontières de l’Iran car le Pakistan et l’Afghanistan qui sont devenus des territoires propices au développement du prosélytisme, selon François Nicoullaud.

Au cours du mandat du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, un accord de sécurité, touchant à la lutte contre la drogue et le terrorisme, émerge en 2001. Au cours de la même année, Saddam Hussein tombe et les Chiites arrivent au pouvoir en Irak, poussant l’Arabie saoudite à agir pour limiter le développement de l’influence iranienne dans la région.

Toutefois, le roi Abdallah a invité Mahmoud Ahmadinejad à participer au sommet des pays du Conseil de Coopération du Golfe à Doha au Qatar en décembre 2007 afin d’apaiser les tensions.

Cependant, des tensions entre les deux pays ont commencé à apparaître, avec le début de la guerre en Syrie en 2011. L’Iran et l’Arabie saoudite se sont engagés directement dans ce conflit par procuration. Par la suite, l’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite ont mis un terme à leur relation diplomatique, en raison de l’exécution par Riyad, le 2 janvier 2016, du cheikh Nimr al Nimr, virulent critique du régime saoudien. Nemr Baqer al-Nemr, un haut dignitaire chiite saoudien ainsi que 46 autres personnes, ont été attaquées à Téhéran et à Mashhad, en Iran. Un groupe de manifestants avait lancé une attaque contre le bureau du consulat saoudien à Mashhad, dans le nord-est de l’Iran. Un autre groupe avait organisé une manifestation devant l’ambassade saoudienne à Téhéran. Le drapeau de l’Arabie Saoudite avait été abaissé par le groupe, puis les manifestants avaient mis le feu au bâtiment de l’Ambassade. L’exécution de Nimr al Nimr a servi de détonateur à un ressentiment ancien entre les deux pays. Soutenue par les Etats-Unis, l’Arabie saoudite a rompu les relations avec l’Iran, qui a été poussé par l’Irak, où le gouvernement est majoritairement chiite, afin de rompre ses relations diplomatiques.

Avec l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis[5], en novembre 2020, « la situation change sensiblement pour les pays de la région ». L’Arabie saoudite perd un allié, Donald Trump, et « doit faire face à une administration plus sensible à la situation des droits de l’homme et qui cherche notamment à réintégrer l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien » (JCPoA).

Le rapprochement, constaté en 2023, avait débuté en 2021 en Irak, après cinq années de rupture. Les Etats-Unis et l’Iran négociaient indirectement depuis plusieurs semaines à Vienne (Autriche) afin de trouver un mécanisme permettant un retour effectif de Washington et de Téhéran au JCPoA. Ensuite, les responsables saoudiens ont radicalement changé de discours à l’égard de l’Iran.

Lors d’une interview télévisée le 27 avril 2023, le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, avait indiqué que « l’Iran est un pays voisin et tout ce que nous souhaitons c’est d’avoir des relations bonnes et spéciales avec lui ». Un changement de ton est apprécié par l’Iran, après une position plus radicale de l’Arabie saoudite : « les points communs sur lesquels nous pouvons nous entendre avec ce régime sont quasiment inexistants ». Ce rapprochement est arrivé au bon moment pour les deux pays.

2.   Enjeux du rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite

 

Le rapproche entre l’Iran et l’Arabie saoudite apporte un vent d’espoir dans la résolution de certains conflits armés. La guerre froide entre les deux poids lourds de la région pèse sur leurs voisins, et notamment le Qatar, le Yémen et la Syrie, pour ne citer qu’eux. En effet, l’opposition idéologique et religieuse de l’Arabie saoudite et de l’Iran a accentué la guerre dans ces territoires.

Ainsi, la rencontre historique entre le roi Salmane d’Arabie saoudite et le président iranien, Ebrahim Raïssi, le 19 mars 2023 dans la cadre du rétablissement des relations diplomatiques a été scrutée par tous les observateurs et dirigeants arabes. Tous attendaient un signe d’apaisement entre les deux pays, dans l’espoir d’une désescalade, voire une réconciliation, dans les pays en guerre dans la région, où les deux puissances soutiennent des camps opposés.

Parmi les conflits évoqués, la guerre civile au Yémen oppose depuis 2014 en grande partie les rebelles chiites Houthis et – jusqu’en 2017, les forces fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh – au gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi, au pouvoir depuis 2012 à la suite de la révolution du Yémen et du renversement de Saleh. Cette guerre au Yémen serait l’un des conflits armés les plus meurtriers du début du XXIe siècle, faisant plusieurs dizaines de milliers de morts et déplaçant près de 4 millions de personnes.

En 2004, des rebelles issus de la minorité chiite du Yémen, les houthistes, se révoltent contre le gouvernement sunnite de Saana, d’Ali Abdallah Saleh, car ils se sentent mis à l’écart des autorités yéménites. Cinq ans plus tard, le conflit se régionalise et une coalition progouvernementale de pays arabes menée par l’Arabie Saoudite (sunnite) bombarde les rebelles, condamnant l’autre grand pays de la région, l’Iran (chiite). Pour la mission iranienne auprès de l’ONU, l’accord avec Riyad « accélérerait le cessez-le-feu, aiderait à entamer un dialogue national et à former un gouvernement national inclusif » au Yémen.

Cependant, un porte-parole des Houthis, cité par l’agence de presse Al Arabiya, a toutefois rappelé que le groupe n’était pas « subordonné » à Téhéran et que la résolution du conflit devrait passer par eux et Riyad. Toutefois, l’Iran s’est engagé à ce que les Houthis cessent leurs attaques contre les citoyens et intérêts saoudiens. De plus, « depuis le dégel amorcé en mars, Riyad a renoué avec la Syrie, alliée de Téhéran, et a intensifié ses efforts de paix au Yémen. Dernier signe d’apaisement des tensions, le premier vol commercial depuis la capitale Sanaa vers l’Arabie saoudite a décollé » le 17 juin 2023.

Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite devrait avoir un impact sur la guerre civile syrienne qui dure depuis douze ans. Dans un contexte de Printemps arabes et après des manifestations majoritairement pacifiques en faveur de la démocratie contre le régime baasiste dirigé par le président Bachar el-Assad, la Syrie tombe dans le conflit armé en 2011. L’Iran est le principal soutien du président Bachar Al-Assad, issu de la minorité chiite alaouite tandis que l’Arabie saoudite soutient les combattants de l’opposition. Cette confrontation indirecte devrait prendre fin avec le rapprochement entre Riyad et Téhéran. En effet, l’universitaire koweïtien Bader Al-Saif a expliqué que le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite est un signal important, alors que l’« Arabie saoudite avait été jusque-là sceptique quant à la normalisation des relations avec Damas ».

Selon le ministère syrien des Affaires étrangères, l’accord irano-saoudien est une « étape importante qui conduira au renforcement de la sécurité et de la stabilité dans la région »[6].  D’ailleurs, en mai 2023, le président iranien Ebrahim Raïssi a achevé une visite à Damas, la première du genre depuis 2011, afin de resserrer encore des liens politiques et militaires déjà étroits. Téhéran souhaite participe aux chantiers de reconstruction du pays. L’Iran veut jouer un rôle de premier plan dans la reconstruction de la Syrie, qui va retrouver sa place au sein du monde arabe après douze ans de mise au ban. En effet, cette réintégration s’accompagne d’une normalisation des relations entre Damas et Riyad, grand rival régional de Téhéran. Preuve en est, l’Arabie saoudite et la Syrie ont annoncé le retour de leurs représentations diplomatiques l’une chez l’autre, après onze années de rupture. Le Royaume saoudien s’est rapproché de la Syrie et de l’Iran afin de consolider la coopération, de trouver des alliés et alternatives économiques et commerciales dans la région.

Ryad cherche surtout à « développer l’action arabe commune », selon le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué publié par l’agence de presse officielle SPA, le 10 mai 2023. La nouvelle prise de position de l’Arabie saoudite, cheffe de file des pays du Golfe et poids lourd régional, intervient après la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, annoncée le 7 mai au Caire lors d’une réunion des ministres des affaires étrangères arabes. La Syrie avait été exclue de l’organisation panarabe en 2011 suite au déclenchement de la guerre.

De son côté, le président syrien Bachar el-Assad profite du rapprochement inattendu entre deux grands rivaux, accueillant à bras ouvert les représentants iraniens et saoudiens. D’ailleurs, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane, s’est rendu mi-avril à Damas pour une visite inédite où il a été reçu par Bachar el-Assad. Dans ce contexte de réchauffement régional, la Turquie a commencé à renouer avec le gouvernement syrien, et les ministres des Affaires étrangères des deux pays se sont rencontrés en Russie, autre puissance très proche de Bachar el-Assad.

Enfin, le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite devrait apaiser les tensions avec le Qatar. En effet, une grave crise diplomatique au Moyen-Orient a éclaté le 5 juin 2017, lorsque l’Arabie saoudite et ses alliés (Égypte, Émirats arabes unis, Yémen) rompent leurs relations diplomatiques avec le Qatar.  Avant cela, en 2014, Riyad avait déjà rappelé son ambassade à Dohan, reprochant au Qatar certains aspects de sa politique étrangère, et notamment son soutien politique et financier à la confrérie des Frères musulmans.

Par la suite, le petit émirat, pays gazier parmi les plus riches du monde, a été accusé par Riyad d’accueillir « divers groupes terroristes pour déstabiliser la région, comme la confrérie des Frères musulmans, Daesch et Al-Qaïda ». Le Royaume avait également dénoncé Doha pour son soutien aux « activités de groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif [est] », où se concentre la minorité chiite du royaume saoudien, ainsi qu’au Bahreïn, secoué depuis plusieurs années par des troubles animés par la majorité chiite de ce pays, a indiqué Michaël Bloch.

Le Qatar avait assuré à l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe que les Frères musulmans n’opéraient plus depuis leur territoire. Cependant, la politique étrangère de Doha va prendre un nouveau tournant et apporter son lot d’ambigüités. En effet, le Qatar soutient l’Arabie saoudite en Syrie et au Yémen, prenant part à la confrontation avec l’Iran. Cependant, le Qatar va se rapprocher de l’Iran en 2011 via un accord de sécurité, avec qui le pays partage le plus grand champ gazier de la planète, « de quoi forger des relations d’intérêt mutuel et d’indépendance énergétique et financière qui doivent tout favoriser sauf le conflit », selon Sébastien Boussois. De plus, Téhéran et Doha soutiennent le Hamas palestinien.

Entre temps, Doha et Riyad ont validé un accord préliminaire en 2020 visant à mettre fin à trois ans de brouille en raison de divergences sur le dossier iranien et de rivalités idéologiques. L’émirat qatari gazier subissait un embargo sans équivalent au monde, après la rupture des relations avec l’Arabie saoudite et ses alliés en raison du soutien à des groupes terroristes, officiellement, et pour sa complaisance envers l’Iran, rival régional de Riyad, officieusement.

Le Qatar est parvenu à apaiser les tensions avec les deux grands rivaux du monde arabe, et voit dans le rapprochement entre ces deux pays une occasion de revenir au devant de la scène et de pouvoir sceller des alliances stratégiques durables. Les tensions au Moyen Orient devraient alors s’apaiser et engager la région dans une nouvelle dynamique, moins idéologique et religieuse, mais plus économique et commerciale.

CONCLUSION

 

Alors que le Moyen-Orient est en pleine ébullition, les anciennes rivalités s’apaisent et les conflits commencent à entrevoir peut-être une fin. Alors que les Etats-Unis perdent d’année en année leur influence dans la région, les pays arabes réajustent leur politique étrangère afin de trouver de nouveaux alliés tels que la Chine, la Russie et certains pays africains, et souhaitent consolider les échanges avec leurs voisins.

L’objectif pour la plupart de ces territoires est de fonder des alliances diplomatiques pour engager la transition économique de leurs territoires. Le développement économique et social de ces pays passe avant les intérêts géopolitiques, idéologiques et religieux. Les deux ennemis de toujours, l’Iran et l’Arabie saoudite sont les exemples mêmes de cette évolution politique, économique et commerciale au Moyen Orient.

Depuis 1979, l’Iran et l’Arabie saoudite s’affrontent directement ou indirectement pour devenir le leader religieux et politique du Moyen Orient. De conflit armé à des tactiques politiques, les deux rivaux n’ont eu de cesse de s‘écharper, aux dépends de certains pays, tels que le Yémen, l’Irak, et le Qatar entre autre.

Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite a donc engagé une reconfiguration dans la région. L’Iran sort de son isolement diplomatique et l’Arabie saoudite trouve des alliés économiques et commerciaux, pour assurer la réussite de sa « Vision 2030 ». Bien que la situation dans le Moyen Orient semble s’apaiser, des tensions persistent demandant des efforts diplomatiques des deux poids lourds de la région. En effet, même si l’Arabie saoudite s’est retirée du Yémen, rien ne dit que des tensions ne vont pas encore se faire sentir. De même, la position de l’Iran sur la scène internationale reste encore très critiquable par certains pays occidentaux, les Etats-Unis en tête, allié traditionnel de l’Arabie saoudite.

D’autant plus que les deux pays entretiennent de bonnes relations, et tentent de maintenir le dialogue, les tensions persistent encore aujourd’hui et pourraient faire tout basculer. En effet, le Moyen Orient fait face à de nombreux défis régionaux et internationaux, mais aussi idéologiques et religieux. Raisons pour lesquelles, il est désormais crucial pour les deux camps d’arriver à trouver une entente globale avec l’ensemble des pays, membres de la Ligue arabe. D’autant que les tensions entre la Chine et les Etats-Unis persistent dans plusieurs régions du monde, particulièrement au Moyen Orient, les riches Etats du Golfe ont tout intérêt à l’instar des pays africain de s’allier et de trouver une politique étrangère commune afin de défendre leurs intérêts économiques et commerciaux face aux deux premières puissances économiques internationales.

Bibliographie

 

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[1] Le mouvement des non-alignés (ou mouvement des pays non alignés) est une organisation internationale regroupant 120 États en 2012, se définissant comme n’étant alignés ni avec ni contre aucune grande puissance mondiale.

[2] Actuelle famille royale saoudienne, menée par le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, et le prince héritier Mohammed ben Salmane ben Abdelaziz Al Saoud

[3] Nicoullaud, F. (2017). Fiche pédagogique. Après-demain, 42,NF, 51-54. ttps://doi.org/10.3917/apdem.042.0051

[4] Il s’agit d’une version rigoriste de l’Islam, hostile au chiisme, selon François Nicoullaud

[5] Tabou C. (août 2022). Les enjeux de la visite de Joe Biden en Arabie Saoudite. IPSA Initiative pour la Paix et la Sécurité en Afrique. https://www.ipsa-afrique.org/les-enjeux-de-la-visite-de-joe-biden-en-arabie-saoudite/

[6] l’agence de presse, Associated Press, citant David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient à l’Iris

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