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Les enjeux climatiques et sécuritaires dans la région du Lac Tchad : défis et perspectives

Par Aliou Ly

Situé à la jonction du désert saharien et de la savane, le lac Tchad, principal point d’eau douce au cœur du continent africain est partagé par quatre pays riverains à savoir le Cameroun, le Nigéria, le Tchad et le Niger. C’est le plus grand point d’eau du bassin tchadien. Depuis les années 60, le lac a perdu 90% de son volume en raison de sa surexploitation et du changement climatique. Les conflits entre les éleveurs et les fermiers se sont multipliés. Au cours des cinq dernières années, l’ONU a organisé deux conférences de donateurs internationaux, la première à Oslo où 672 millions de dollars d’aide d’urgence ont été promis, et la seconde à Berlin, où 2,12 milliards de dollars, dont 467 millions de prêts concessionnels, ont été annoncés afin d’aider les interventions au Cameroun, Tchad, Niger et Nigéria.

80 à 90% de la subsistance des populations du lac Tchad dépendent de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Le lac Tchad et son avenir sont au cœur des préoccupations politiques régionales et internationales. La Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) a commandé à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) une expertise collégiale sur la préservation et le développement du lac Tchad. Cette expertise, réalisée par un collège d’experts pluridisciplinaire et paritaire Nord-Sud, recense les connaissances actuelles sur le lac et identifie les différents choix politiques susceptibles de stimuler son développement. Elle aboutit à une série de recommandations utiles aux décideurs politiques en matière de soutenabilité environnementale, de sécurité alimentaire et d’emploi.

Cette poudrière sociopolitique est formée du cocktail détonnant d’une population à la plus forte croissance du monde, dans un contexte de grande pauvreté et d’États dont les failles se traduisent d’abord par de faibles capacités de contrôle territorial. Depuis 2014, Boko Haram s’est implanté dans cette poudrière. Dans cette région les vulnérabilités sont croissantes : le terrorisme d’une part, le changement climatique d’autre part.

L’objectif est de montrer les difficultés que vivent les populations de la région du lac Tchad aux effets du réchauffement climatique et du terrorisme, tout en essayant d’apporter des solutions face à cette situation. Il convient de voir d’abord les défis climatiques et sécuritaires dans la région du lac Tchad, avant de voir ensuite les perspectives ou des propositions de solutions face à cette situation.

 

1- Les défis climatiques et sécuritaires dans la région du lac Tchad

La région du lac Tchad est confrontée à plusieurs vulnérabilités qui sont d’ordre sécuritaire et environnemental. En effet, le changement climatique, la surexploitation du lac Tchad, les conflits entre fermiers et éleveurs, le terrorisme avec Boko Haram (affilié à l’Etat islamique) sont les véritables défis à relever.  Bien que les conséquences des changements climatiques soient reconnues par les milieux politiques, économiques et scientifiques, leur compréhension reste aujourd’hui encore très limitée. L’objet de cette partie est de lever cette limite en insistant particulièrement sur la vulnérabilité de la région du lac Tchad face au changement climatique. Dans la région du lac Tchad, ce réchauffement a provoqué de longues périodes de sécheresse, avec pour conséquences des effets néfastes sur le cycle hydrologique, l’environnement et les activités socioéconomiques. La région a connu ainsi une aggravation de la variabilité climatique, qui s’est manifestée en particulier par une modification du régime des précipitations et par une augmentation de la température à la surface de la Terre. Les précipitations ont considérablement baissé dans la région, passant de 800 millimètres en moyenne par an dans les années 1970, à moins de 400 millimètres aujourd’hui. Cette baisse a entraîné la diminution de 75 % du débit des eaux fluviales (les rivières Chari et Logone) qui alimentent le lac Tchad. Selon les observations faites sur le climat dans cette région, il s’avère que les températures ont évolué plus rapidement que la tendance mondiale, avec des augmentations allant de 0,2°C à 0,8°C par décennie depuis la fin des années 1970 dans les zones sahélo-saharienne, sahélienne et soudanienne. Les rapports du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) indiquent que la région du lac Tchad compte parmi les zones les plus affectées par le changement climatique (GIEC, 2007). Cette étude s’intéresse donc aux mouvements des personnes autour des opportunités qu’offre le recul des eaux du lac Tchad dans un contexte marqué par le changement climatique. Ces nouvelles terres émergées constituent de ce fait une aubaine pour ces populations en proie aux caprices écologiques de toutes sortes (sécheresses, dégradation de l’environnement, etc.) L’accent est mis ici sur l’espace : le lac Tchad qui connait une forte concentration de populations à ses abords immédiats et sur ses îles. Cette concentration résulte des mouvements des populations dans le souci d’avoir accès à l’eau, aux terres fertiles, aux poissons etc. En plus de ces facteurs environnementaux depuis 2015, la situation sécuritaire liée aux exactions de Boko Haram a poussé les populations à se réfugier dans la zone du lac Tchad. Le constat qui se dégage est que, d’environ 24 000 km2 dans les années 1960, le lac Tchad oscille de nos jours entre 2000 et 1700 km2. Il est peu profond (1,5 mètre en moyenne) avec un volume d’eau variant entre 30 milliards et 20 milliards de mètres cubes (Sambo, 2010). Le terrorisme est aussi responsable de l’aggravation des conditions climatiques dans la région.

 

2- Les perspectives face au changement climatique

Les paysages du lac Tchad ainsi que les ressources naturelles associées varient en fonction du niveau de l’eau, qui lui-même dépend, en les amplifiant, des variations de la pluie reçue par son bassin-versant. Les différentes phases de l’évolution du lac Tchad au cours de la période récente peuvent être décrites en fonction des principaux états du lac Tchad au sens de Tilho (1928) : « Grand », « Moyen » et « Petit lac Tchad ». Face à ces défis, la principale institution régionale en charge du lac Tchad et de son bassin, la CBLT, doit notamment répondre à une difficile question de positionnement. Ses statuts autorisent la combinaison de trois types de fonction : développement, gestion de l’environnement, sécurité. Cette institution, créée au lendemain des indépendances en 1964, a eu une histoire difficile, à l’image de celle des États membres. La gestion des ressources en eau partagées a été le plus souvent centrale et elle tendait à s’affirmer à la suite des réformes de l’institution depuis le milieu des années 2000 (Magrin, 2014). À certains moments, la sécurité s’y est ajoutée : au cours des années 1990 d’abord, pour lutter contre l’insécurité transfrontalière dans la région du lac Tchad ; en 2015, la création d’une Force multinationale mixte (FMM), afin de coordonner la lutte des États membres contre Boko Haram. L’articulation des fonctions de développement durable et de défense au sein de la même institution (déjà fragile) se révèle périlleuse. le projet de transfert des eaux de l’Oubangui vers le lac Tchad contribue à sa manière à l’insécurité. Il repose sur un argumentaire fragile en se présentant comme une réponse à un assèchement du lac qui n’est pas constaté. Cependant, cet assèchement pourrait se produire d’ici quelques décennies. La réflexion sur la faisabilité d’un transfert a été relancée fin 2016, dans le cadre d’une coopération entre la CBLT et une entreprise chinoise. L’étude porte sur un transfert de 50 km3 annuels. S’il est difficile de se prononcer sur un projet dont les contours sont en constante redéfinition, le relèvement du plan d’eau recherché aurait probablement pour effet le déplacement de nombreuses personnes, dans la vallée du Chari et dans le lac Tchad. Une telle perspective est porteuse, pour les habitants concernés, d’une insécurité accrue, tant la gestion des déplacements de population à grande échelle demeure problématique malgré toutes les précautions prises, comme l’illustrent les difficultés rencontrées par les projets de barrage soutenus par la Banque mondiale dans la vallée du Niger à Kandadji (Niger) et Fomi (Guinée). L’instabilité de la République centrafricaine et les réticences de la République démocratique du Congo ajoutent encore à l’incertitude d’un tel projet.

Le projet BIOPALT vise à renforcer les capacités des États membres de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) à sauvegarder et gérer durablement les ressources hydrologiques, biologiques et culturelles du bassin du lac Tchad, afin de contribuer à la réduction de la pauvreté et de promouvoir la paix. Le projet comporte une large gamme d’activités allant de la mise en place d’un système d’alerte précoce aux sécheresses et aux inondations à la restauration d’écosystèmes dégradés comme des habitats d’éléphants et de la vache Koury (espèce endémique emblématique jouant un rôle important dans la cohésion sociale), tout en accordant une attention particulière aux activités génératrices de revenus à travers la promotion de l’économie verte et la valorisation des ressources naturelles du bassin. Le projet mettra notamment l’accent sur l’accompagnent des États à la préparation d’un dossier de création d’une réserve de biosphère transfrontière dans le bassin et d’une proposition d’inscription du lac comme site du patrimoine mondial. D’une durée de trois ans, ce projet est financé par la Banque africaine de développement pour un montant total de 6 456 000 $ US et mis en œuvre dans une approche multisectorielle, impliquant l’ensemble des secteurs de l’UNESCO au Siège et des bureaux sur le terrain.

 

Conclusion :

En conclusion, la variabilité du lac Tchad est influencée ces dernières années par le changement climatique. Cependant, le recul du lac Tchad laisse un espace, confronté aux migrations massives, qui fort heureusement contribue grandement à la production agro-sylvopastorale dans la région. Au lac Tchad, l’association récemment opérée par des hommes politiques entre insécurité environnementale (tendance supposée à l’assèchement) et insécurité politique (crise Boko Haram) relève pour partie des mécanismes d’une communication visant à marquer les esprits pour mobiliser des soutiens, en interne ou au niveau de la communauté internationale. Elle fait écho à une approche scientifique associant aridification et crise politique. Cette association a le défaut de gommer la complexité d’un lac partagé entre quatre États aux trajectoires politiques heurtées, aux paysages changeants au gré d’une hydrologie très variable, aux populations cosmopolites qui se sont adaptées aux insécurités (climatique et politique) par le recours à une large mobilité. Jusqu’à présent, le lac Tchad invalide toute relation simple entre aridification et crise politique. Mais déjà les populations ont développé des stratégies endogènes pour s’adapter à cet environnement. Les pratiques les plus courantes observées dans la région et qui sont au centre des activités des ONG sont : la construction des mares d’eau, des infrastructures de rétention d’eau, l’organisation de la transhumance, l’irrigation. Ainsi, ces pratiques et connaissances endogènes peuvent servir de mécanismes de gestion rationnelle et durables des ressources en eau, en partant des stratégies d’adaptation aux changements climatiques dans cette partie de l’Afrique.

 

Notes de référence :

  • Bdliya, H., Bloxom M., 2012, Analyse diagnostique transfrontalière du Bassin du Lac Tchad, Programme CBLT-FEM relatif à l’Inversion de la tendance à la dégradation des ressources en terre et en eau, N’Djaména, CBLT, 153 p.
  • Bégin-Favre,2008
    nsécurités. Une interprétation environnementale de la violence au Ouaddaï (Tchad oriental). Thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 435 p.
  • Bertoncin,PaseA.,2012
    Autour du lac Tchad. Enjeux et conflits pour le contrôle de l’eau. Paris, L’Harmattan, 354 p.
  • Beauvilain, A., 1989, Nord Cameroun : crises et peuplement, T. 1 et T. 2, thèse de Doctorat les Lettres et Sciences humaines, Université de Rouen.
  • GIEC, 2017, Climate change 2007 : The physical science basis, Cambridge University Press, Cambridge, p.996
  • Lemoalle J., Magrin G. (dir.), 2014, Le développement du lac Tchad : situation actuelle et futurs possibles, Marseille, IRD Editions, coll. Expertise collégiale, bilingue français-anglais.
  • Ombiono Kitoto P. A., 2016, « Réchauffement climatique et migration vers les rives du lac Tchad », Migrations Société, 2016/1 (N° 163), p. 149-166.
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